• Jules Migonney (1876-1926), Tamaroud-Kabylie, 1910 © Mucem/Marianne Khun
    Jules Migonney (1876-1926), Tamaroud-Kabylie, 1910 © Mucem/Marianne Khun

Méditerranées

Épisode 1 : Inventions et représentations
Mucem, J4— Niveau 2
| Du mercredi 5 juin 2024 au jeudi 31 décembre 2026

  • De l’Antiquité à nos jours, l’histoire des « Méditerranées » plurielles et fantasmées...

Le Mucem est le seul musée de société dont le projet scientifique se consacre pleinement aux cultures de la Méditerranée. À l’occasion de ses 10 ans, il nous invite à découvrir la richesse de ses collections européennes et méditerranéennes à travers une nouvelle exposition permanente. De l’Antiquité gréco-latine à nos jours en passant par la période coloniale, celle-ci nous plonge dans l’histoire des « Méditerranées » plurielles et fantasmées. 

Cette exposition permanente se décline en plusieurs épisodes, appelés à renouveler sa présentation jusqu’à l’horizon 2030 : « Méditerranées » se verra régulièrement enrichie de nouveaux chefs d’œuvres de l’histoire de l’art, de nouveaux trésors des collections et de nouvelles pièces rares, récemment acquis ou prêtés, ouvrant de nouvelles voies et de nouveaux caps pour embrasser ces Méditerranées. En effet, les imaginaires de la Méditerranée sont multiples, et tous ne peuvent être montrés dans une seule exposition. « Méditerranées » interroge la manière dont se sont formés et diffusés ces imaginaires, et notamment le rôle des musées, en découvrant comment l’histoire des arts et l’ethnologie ont contribué à créer des « images » de la Méditerranée, toutes relatives et toutes construites. 

Dans les musées de beaux-arts, ce sont les civilisations du passé, en particulier celles de l’Antiquité, qui sont mises en valeur les premières et qui construisent une Méditerranée rêvée nourrie de l’Odyssée d’Homère, de temples grecs et de récits sur Rome et Palmyre. 

Les musées d’ethnographie, qui apparaissent durant la période coloniale, s’intéressent pour leur part aux sociétés géographiquement ou culturellement « lointaines ». La sincérité de l’intérêt scientifique et humain pour l’Autre y côtoie les intérêts et les entreprises des puissances coloniales. 

La distinction entre musées de beaux-arts et musées d’ethnographie a créé des frontières entre les objets qu’ils conservent et les disciplines qui les étudient. Le Mucem souhaite aujourd’hui dépasser ces frontières et mettre en évidence les parallèles et les influences mutuelles qui existent entre ces deux types de musée. Suivant cette idée, « Méditerranées » mêle différents modèles muséographiques historiques, de l’accrochage dense des musées de beaux-arts de la fin du 18e et du 19e siècle, aux différentes formes de présentation utilisées au cours de l’histoire par les musées d’ethnographie. 

L’exposition présente plus de 300 objets et documents dont la moitié sont issues des collections du Mucem. Tout au long du parcours, des œuvres d’art contemporain évoquent les enjeux d’aujourd’hui en Méditerranée. Elles ont été réalisées par les artistes Francis Alÿs, Ziad Antar, Hélène Bellenger, Nidhal Chamekh, Joseph Eid (AFP), Nina Fischer & Maroan el Sani, Mouna Karray, Fatima Mazmouz, Selma et Sofiane Ouissi, Maria Varela, ainsi que Théo Mercier, ce dernier ayant été invité à « infiltrer » le parcours de l’exposition.

Les dépôts proviennent d’une vingtaine d’institutions : musée du Quai Branly – Jacques Chirac, musée d’Orsay, musée du Louvre, Bibliothèque nationale de France, Médiathèque du patrimoine, École des beaux-arts de Paris, musée du château de Versailles, conseil général de Seine-Saint-Denis, musée d’Archéologie nationale, musée des Beaux-Arts de Marseille, museon Arlaten, musée des Beaux-Arts de Bordeaux, musée des Beaux-Arts de Valenciennes, musée des Beaux-Arts d’Angers, musée des Beaux-Arts de Laval, musée Denys-Puech de Rodez, musée d’Art et d’Histoire de L’Isle-Adam, musée des moulages de l’université Lumière Lyon 2,  Lugdunum Musée et théâtres romains, Ateliers d’art, moulages et chalcographie de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, musée Bénaki d’Athènes, musée de la Photographie de Thessalonique, musée de l’histoire du costume grec à Athènes, la galerie mor charpentier. 

Commissaire générale : Marie-Charlotte Calafat, conservatrice du patrimoine, responsable du département des collections et des ressources documentaires du Mucem
Commissaires : Justine Bohbote, Raphaël Bories, Camille Faucourt, Enguerrand Lascols, Hélia Paukner, conservatrices et conservateurs du patrimoine au Mucem
Scénographe : Pascal Rodriguez
Graphiste : Nicolas Journé, CL Design

Entretien avec Raphaël Bories, Marie-Charlotte Calafat, Camille Faucourt, Enguerrand Lascols et Hélia Paukner, commissaires de l’exposition

 

Mucem

Comment cette nouvelle exposition permanente s’articule-t-elle avec l’autre exposition permanente « Populaire ? » qui a ouvert ses portes en décembre dernier ? 

 

Marie-Charlotte Calafat.

Ces deux propositions sont complémentaires : « Populaire ? » permet de montrer largement les collections du musée, « Méditerranées » de parler du sujet complexe et insaisissable qu’est le monde méditerranéen, ce que le public attend du Mucem. Ces deux expositions ont pour spécificité de mettre les collections au cœur du musée, dans toute leur diversité. Le Mucem a 10 ans mais a hérité d’objets français du musée des Arts et Traditions populaires et d’objets européens du musée de l’Homme. Les nouvelles acquisitions se sont tournées vers la Méditerranée avec l’implantation du musée à Marseille. Nous sommes donc partis des collections « historiques » du Mucem, pour montrer ce que celles-ci disent de la Méditerranée. Pour mieux les donner à comprendre, nous les avons complétées, comparées, mises en regard avec des acquisitions récentes et des dépôts d’autres musées. Cela permet aussi d’interroger, dans le contexte méditerranéen, la frontière entre les objets dits « artistiques » et les objets dits « populaires », ce qui est un autre point commun entre les deux expositions permanentes. Dans la scénographie, cette idée se traduit par l’évocation des modèles muséographiques historiques, de l’accrochage dense des musées de beaux-arts de la fin du 18e et du 19e siècle, aux différentes mises en exposition utilisées au cours de l’histoire des musées d’ethnographie.

 

Mucem

L’exposition porte sur la construction des imaginaires liés à la Méditerranée : pourquoi avoir choisi d’aborder ce projet sous cet angle ? 

 

Raphaël Bories

Parce que c’est bien ce qui nous a frappés en regardant nos collections méditerranéennes : pour beaucoup, elles donnent une image non seulement très partielle de la Méditerranée, mais aussi très marquée par les fantasmes et l’imaginaire. Ces représentations parfois stéréotypées dont nous montrons la construction depuis le 18e siècle n’ont pas disparu et influencent encore aujourd’hui notre regard. En donnant à voir ces imaginaires, nous essayons de les comprendre, mais surtout d’expliquer qu’il s’agit d’inventions, pas de réalités figées. C’est d’autant plus important qu’ils ont pu faire l’objet de dérives et d’instrumentalisations : l’exposition en parle et s’efforce de les déconstruire. Ces imaginaires ont aussi influencé des générations d’artistes puis d’ethnologues, qui ont à leur tour contribué à les faire connaître et à les diffuser, mais aussi parfois à les remettre en question. Tout cela est très lié à un contexte où les nations européennes revendiquent l’héritage de l’Antiquité gréco-romaine, et où elles se lancent dans la conquête coloniale du bassin méditerranéen.

 

Mucem

Les collections du Mucem sont les héritières de cette histoire où se mêlent Antiquité fantasmée et domination coloniale ?

 

Enguerrand Lascols

Pas uniquement, mais en grande partie pour celles qui relèvent de la Méditerranée. L’art populaire des collections du Mucem est notamment marqué par le modèle antique, central dans la création artistique en Europe, ainsi que dans la naissance des identités nationales. Certains des objets collectés autour de la Méditerranée par des ethnologues, chargés d’étudier les cultures humaines dans leur diversité, l’ont été dans le contexte de la colonisation et du goût pour l’exotisme de « l’Orient ». Le Mucem n’est bien sûr pas le seul musée à conserver des collections liées à ces héritages complexes : c’est le cas de la plupart des musées ! Ce qui fait la spécificité de notre démarche, c’est d’interroger et d’expliquer ce contexte avec ses zones d’ombre, et pour ce faire, de réunir des collections qui ne sont habituellement pas exposées ensemble : celles des musées autrefois nommés « des beaux-arts » et « d’ethnographie ». Il s’agit ainsi de montrer comment les imaginaires et les héritages de la Méditerranée, que les musées et leurs collections ont contribué à construire, se croisent, se mélangent et s’influencent mutuellement.

 

Mucem

Quels sont à vos yeux les œuvres et les objets les plus remarquables au sein du parcours ? 

 

Camille Faucourt

L’exposition présente plusieurs moulages grandeur nature d’importantes statues antiques. Ils permettent de montrer comment le modèle artistique de l’Antiquité a pu se diffuser, auprès des artistes comme du public. Le moulage de la cariatide de l’Erechthéion d’Athènes, en plus de son caractère monumental, témoigne aussi de l’appropriation du patrimoine antique par les nations et les musées : l’original est aujourd’hui conservé au British Museum. Un grand tableau du peintre marseillais Dominique Papety montre comment les Grecs du 19e siècle se mettent en scène comme les héritiers de la Grèce classique, notamment par le port de la fustanelle, une sorte de jupe inspirée du costume de l’Antiquité. Les photographies et le film de l’ethnologue Thérèse Rivière, réalisés dans les années 1930 dans les Aurès, sont un témoignage exceptionnel sur la vie des habitants de cette région, auxquels elle était sincèrement attachée. Nous avons acquis pour « Méditerranées » un tableau de Jules Migonney représentant des potières algériennes au travail. Il est exposé avec des céramiques de nos collections collectées sur le terrain : les œuvres les plus remarquables sont à chaque fois mises en relation avec d’autres, qui permettent de mieux comprendre leur contexte.

 

Mucem

Aux côtés des objets historiques, l’exposition présente aussi des œuvres d’art contemporain, notamment de Théo Mercier… Que nous disent-elles des Méditerranées d’aujourd’hui ? 

 

Hélia Paukner

Elles nous disent d’abord que les imaginaires et le patrimoine de la Méditerranée dont il est question dans l’exposition inspirent toujours les artistes, qui continuent à s’en emparer. À leur regard sensible et esthétique s’ajoute une dimension critique : leurs œuvres questionnent également les ambiguïtés et les tensions liées aux représentations dont nous avons hérité. Théo Mercier est intervenu en créant plusieurs œuvres pour l’exposition autour des thématiques de la fabrique du regard et du patrimoine, qu’il soit antique ou ethnologique. Le travail des artistes permet aussi de donner à entendre une pluralité de voix actuelles sur la Méditerranée et ses enjeux contemporains : l’environnement, les migrations, les identités, l’héritage colonial, l’exploitation des ressources, le genre. Dans le parcours, les visiteurs pourront aussi entendre le point de vue d’experts de tout le bassin méditerranéen, de jeunes et de témoins sur ces phénomènes contemporains. Cette multiplicité d’approches permet de mieux saisir le caractère pluriel et insaisissable des Méditerranées, qui se construisent avant tout par le regard de ceux qui l’imaginent.

 

Propos recueillis par Sandro Piscopo Reguieg (mars 2024)

 


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