• Champ de visions, Mathilde Rosier, 2023 © Julie Cohen / Mucem
    Champ de visions, Mathilde Rosier, 2023 © Julie Cohen / Mucem

Champ de visions


Mucem, Centre de Conservation et de Ressources— 1, rue Clovis Hugues, 13003 Marseille
| Du samedi 16 septembre 2023 au mardi 16 septembre 2025

  • L’artiste Mathilde Rosier habille la façade du CCR d’une cinquantaine d’yeux de verre, comme une invitation à venir voir la collection de plus près...

Mathilde Rosier, 2023

Verre massif modelé à chaud

Coproduction Cirva / Mucem

Réalisation Cirva avec Lucie de Bodinat, Alexandre Mouillet, Cyrille Rocherieux, Fernando Torre, David Veis

 

Une constellation de regards se déploie sur la peau rose du Centre et de Conservation et de Ressources du Mucem. Avec l’installation Champ de visions, l’artiste Mathilde Rosier habille la façade du CCR d’une cinquantaine d’yeux de verre, comme une invitation à venir voir la collection de plus près… Une installation à découvrir à partir des Journées européennes du patrimoine 2023.

Sensible à la question du rite agraire et des saisons, Mathilde Rosier sème à la surface du bâtiment ces excroissances mystérieuses, tels des hybrides à mi-chemin entre le fruit et l’organe. La paroi du CCR est perçue comme un champ vertical dans lequel ces yeux-graines se cultivent et prennent vie. L’artiste rend hommage à l’une des vocations de ce lieu, abri de cultures et d’objets, consacré à l’alphabétisation du regard, à l’éveil des sens et à l’éducation, à la croissance du savoir et des émotions.

L’installation se poursuit à l’intérieur du bâtiment par un dialogue entre les yeux de Mathilde Rosier et la collection du Mucem. Ces yeux sont un trait d’union entre espace extérieur et espace intérieur dédié à la conservation. Entre regard porté et regard introspectif.

Un hommage au regard

L’artiste indique qu’une partie des collections du Mucem n’a de valeur qu’à partir du moment où l’on porte un regard affectueux sur elles. C’est le regard que l’on porte sur les choses qui leur confère donc une valeur, et le rôle du musée est d’accompagner le visiteur à les regarder. L’œil est un organe de sens fragile et précieux qui reçoit la lumière. Il est un outil privilégié pour s’ouvrir au monde. Le geste de Mathilde Rosier nous rappelle que le CCR est un lieu d’alphabétisation du regard.

Ces yeux sont sertis dans une écorce évoquant les bogues qui protègent les graines de certains fruits. Ils sont enchâssés dans la façade comme des semences dans un champ qui ici est vertical. Cette installation fait particulièrement sens par rapport à la vocation du CCR qui est un lieu d’éveil et d’éducation et qui devient, par la force de ces yeux-graines, une métaphore du champ labouré. Ici, le mot « champ » est polysémique : il fait référence aussi bien au champ de vision (auquel l’organe oculaire renvoie inévitablement) qu’au champ que nous cultivons. Ce regard enchâssé dans la façade du bâtiment nous renvoie donc au champ de vision propre au bâtiment qui depuis cette perspective, celle de l’architecture, permet un double regard. Dans sa démarche ethnologique et anthropologique, le Mucem nous conduit à regarder mais aussi à nous mettre à la place de ce qui est regardé, hors des préjugés, des stéréotypes et des partis pris. Alors que nous nous apprêtons à être des « regardeurs », le bâtiment nous invite également à être regardés. Nous comprenons alors que si nous sommes des sujets qui étudient les objets conservés par le musée, il est possible que ces objets nous regardent aussi. Autrement dit, si nous apprenons des choses sur les objets, nous apprenons également beaucoup de choses sur nous-mêmes, grâce à ces objets, et quelle que soit la distance géographique ou temporelle qui nous sépare.

L’œil un symbole polysémique et méditerranéen

L’œil est un organe dont on trouve des représentations dans toute la Méditerranée. L’exposition « Objets migrateurs », présentée en 2022 au Centre de la Vieille Charité, consacrait un chapitre à la circulation de ce motif. L’œil est en effet très présent dans l’Antiquité méditerranéenne. Il est à la fois un moyen de donner la vie et de protéger ; il est aussi conscience. L’œil est présent dans les collections sous la forme d’amulette et d’ex-voto. L’œil renvoie également à l’hagiographie de sainte Lucie de Syracuse, une martyre du IVe siècle. Lucie est une sainte dont les yeux sont au cœur de son supplice : ils sont arrachés pour la punir du vœu de chasteté qu’elle a formulé, contrariant ainsi les projets de sa famille qui l’avait promise en mariage. Son histoire est une forme d’abandon et de sacrifice des yeux extérieurs pour être dans la vision intérieure. L’étymologie du nom Lucie renvoie à la lumière et à la lucidité, elle est donc étroitement liée à la question de la vision. On appelle « yeux de sainte Lucie » certains coquillages méditerranéens que l’on trouve notamment en Corse. Aujourd’hui, les yeux de verre de couleur bleue, blanche et noire sont très présents dans la culture populaire sous la forme de souvenirs produits en masse et vendus aux touristes.

Le regard est court dans le temps et subjectif, il est fugace. Il entre alors en lien avec la permanence des objets, la pluralité des regards et des lectures des objets de la collection patrimoniale qui s’hérite et se transmet. Tout l’intérêt de la collection est de permettre de multiplier dans le temps les regards portés sur elle. La constellation de regards que Mathilde Rosier déploie sur la façade du CCR est une métaphore de la pluralité des regards que l’institution souhaite porter sur ses collections et des diverses interprétations que spécialistes et profanes porteront sur elle au fil de la marche du temps.

 

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