• Pablo Picasso, Parodia de Exvoto La Virgen aparenciéndose a Miguel Utrillo, accidentado, 1899-1900 © Succession Picasso 2016
    Pablo Picasso, Parodia de Exvoto La Virgen aparenciéndose a Miguel Utrillo, accidentado, 1899-1900 © Succession Picasso 2016
  • Pablo Picasso, Tête de taureau, 1942 © Succession Picasso 2016
    Pablo Picasso, Tête de taureau, 1942 © Succession Picasso 2016
  • Pablo Picasso, Serrure, vers 1955 © Succession Picasso 2016
    Pablo Picasso, Serrure, vers 1955 © Succession Picasso 2016
  • Pablo Picasso, Oiseau (Colombe), 7 janvier 1953 © Succession Picasso 2017
    Pablo Picasso, Oiseau (Colombe), 7 janvier 1953 © Succession Picasso 2017
  • Edward Quinn, Picasso dans son atelier Le Fournas, à Vallauris, 1953. copyright : Photo Edward Quinn, © edwardquinn.com
    Edward Quinn, Picasso dans son atelier Le Fournas, à Vallauris, 1953. copyright : Photo Edward Quinn, © edwardquinn.com

Picasso, « un génie sans piédestal »

Picasso et les arts et traditions populaires
Mucem, J4— Niveau 2
| Du mercredi 27 avril 2016 au lundi 29 août 2016

 

« L’art oblige l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien »

Albert Camus. Discours de Suède. Discours de réception de Prix Nobel de littérature, prononcé à Oslo, le 10 décembre 1957

Le MuCEM présente du 27 avril au 29 août 2016 une grande exposition de 270 oeuvres qui s’attache à montrer comment Picasso, tout à la fois inscrit dans son époque et attaché à ses racines, a nourri son travail d’influences issues des arts et traditions populaires. Le parcours, divisé en quatre sections, met en miroir des chefs-d’œuvre de l’artiste avec des objets-références issus des riches collections du Mucem. Grâce à des prêts exceptionnels et au soutien de nombreuses collections publiques et privées, françaises et internationales, parmi lesquelles il convient de citer le riche partenariat avec le Musée national Picasso-Paris, l’exposition permet de réunir des œuvres essentielles et iconiques, mises en perspective avec des découvertes inédites.

Après avoir évoqué l’aspect sacré de ces sources, essentiellement espagnoles, le propos met en évidence cette présence des souvenirs dans l’inspiration de l’artiste. Sont ainsi illustrés des thèmes et des motifs mémoriels récurrents chez Picasso, fasciné en particulier par l’univers de la parure (Jacqueline à la mantille), de la musique, du cirque (L’Acrobate bleu), de la tauromachie (Tête de taureau) et du jouet, par exemple.

L’exposition est ensuite construite autour de rencontres faites par Picasso avec des personnalités ayant affirmé un savoir-faire artisanal qui pouvait nourrir sa propre expérience et ses propres recherches. Sont alors successivement développées les incursions de l’artiste dans la connaissance du travail du bois (Paco Durrio), de la céramique (Suzanne et Georges Ramié et l’atelier Madoura), de l’orfèvrerie (François Hugo), de la linogravure (Hidalgo Arnéra), du cinéma (Robert Picault), du textile (Marie Cuttoli) et de la tôle découpée (Lionel Prejger).

La question de l’utilisation du quotidien dans sa dimension la plus prosaïque (les objets de rebut), mais aussi la plus personnelle, s’exprime dans un très bel ensemble de sculptures d’assemblage (La Guenon et son petit) dans lesquelles se lisent aisément les objets glanés et les matériaux recyclés.

L’art au XXe siècle a souvent joué avec ses origines pour construire un nouveau rapport au monde. Les racines de Picasso sont multiples. Parmi ces fondations, l’environnement de son enfance fut un terreau très fertile. Les objets du quotidien auxquels Georges Henri Rivière rend hommage au sein du musée des arts et traditions populaires, qu'il crée en 1937, font infiniment partie du bagage affectif et esthétique de l'artiste. Les collections du Mucem qui jalonnent le parcours ont été choisies parmi les objets acquis par Georges Henri Rivière, comme autant d'échos au travail de Picasso. Fort de cette connaissance à la fois intime et universelle, Picasso s’affirme alors lui-même comme le véritable signal d’une nouvelle culture populaire.


Commissariat général :
Joséphine Matamoros, conservateur en chef du patrimoine, directrice honoraire du Musée d’art moderne de Céret, directrice du Musée d’art moderne de Collioure
Bruno Gaudichon, conservateur en chef du patrimoine, conservateur de La Piscine-Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix
Emilie Girard, conservateur du patrimoine, responsable du Centre de Conservation et de Ressources du Mucem.
Scénographie : Jacques Sbriglio, architecte, scénographe

 

Entretien avec les commissaires de l'exposition Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon

 

En quoi les arts et traditions populaire trouvent-ils écho dans l'oeuvre de Picasso ?

Picasso était très marqué par ses racines. Cette pérennité des sources populaires intervient de deux façons : par des thèmes récurrents dans son œuvre, liés à des pratiques populaires et culturelles (la mantille des femmes espagnoles, les instruments de musique, le cirque, la tauromachie, la colombophilie, etc.), mais aussi par cette préoccupation qui l’anime au sortir de la guerre, celle de faire évoluer son œuvre par des incursions dans des domaines nouveaux comme l’artisanat d’art (la céramique, l’orfèvrerie, la linogravure, etc.). Enfin, il nous a semblé important de montrer quelle fut son approche de la sculpture, notamment après-guerre, dans une période faste de recherches : il crée alors des sculptures d’assemblage avec des objets trouvés, des objets simples, populaires. L’une des plus célèbres est La tête de taureau (1942), créée avec un guidon et une selle de bicyclette. Ce qui est intéressant, c’est qu’il ne part pas de l’œuvre à faire ; c’est l’objet trouvé qui en devient le stimulus. Il ne s’agit pas pour lui de faire du bricolage, mais de traduire le pouvoir évocateur de l’objet.

 

Dans l’exposition, de quelle façon va s’opérer la mise en miroir des œuvres de Picasso avec les objets issus des collections du Mucem ?

Montrer les objets ayant directement inspiré Picasso s’avère impossible car ceux-ci sont avalés par l’artiste dans les œuvres elles-mêmes. Mais nous avons pu trouver dans les collections du Mucem des objets pouvant tout à fait illustrer ses préoccupations. Ainsi, dans chaque salle de l’exposition, seront présentés, d’abord, quelques objets en écho avec le thème abordé. Ajoutons enfin qu’il existe des liens entre Picasso et le Mucem : il ne faut pas oublier que Picasso a bien connu Georges Henri Rivière, le fondateur du Musée des arts et traditions populaires (dont les collections ont rejoint celles du Mucem, ndlr) ; à une époque où l’on a justement reconsidéré l’objet populaire : muséifié par Rivière et sacralisé par Picasso, qui l’intègre dans ses œuvres.

 

Cette exposition propose une nouvelle grille de lecture de l’œuvre de Picasso…

Une rétrospective pour des artistes comme Picasso, cela n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Nous proposons donc, en effet, une nouvelle grille de lecture de son travail, qui n’a encore jamais été explorée. Cette question de l’importance des arts et traditions populaires dans l’œuvre de l’artiste nous permet de créer un fil nouveau dans la découverte de Picasso.

 

L’exposition mêle chefs-d’œuvre et pièces inédites. Quelques exemples ?

Nous avons en effet des œuvres importantes et célèbres, notamment dans la salle des sculptures d’assemblages avec La Guenon et son petit, dont la tête est constituée de deux petites voitures que Picasso avait piquées à son fils : c’est une icône. Sans parler du tableau l’Acrobate, œuvre magnifique, très ancrée dans sa passion pour le cirque. Quant aux pièces inédites ou peu montrées, elles sont nombreuses : citons par exemple l’ensemble de carreaux créés par Picasso avec Derain, présenté en France pour la première fois ; ou les trois compotiers en argent faits avec François Hugo, qui devraient étonner beaucoup de monde. Sans oublier la série des affiches en linogravure créées pour les expositions annuelles de céramique de Vallauris. On les a toutes, c’est une première. Et puis ces grands tableaux tauromachiques absolument extraordinaires, et très peu vus… Nous avons bénéficié d’un grand nombre de prêts de collections particulières, ce qui nous permet d’avoir des pièces très rares.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant vos recherches pour cette exposition ?

Le fait, justement, que cette nouvelle grille de lecture devenait une vérité. Nous avons pu vérifier que cette question des arts et traditions populaires avait du poids dans l’œuvre de Picasso. Au fil de nos recherches, en défaisant la pelote, certaines choses prenaient un sens nouveau. Nous avons relu les textes de Sabartès : il y évoque notamment un tableau peint par le père de Picasso, Le Pigeonnier, comme un élément très marquant pour l’artiste ; et sa passion pour la colombophilie se verra d’ailleurs illustrée par une magnifique suite d’œuvres. La preuve que ce côté matriciel de son enfance prend une importance immense et transparaît dans ses thèmes et ses techniques. Ce Pigeonnier, Picasso ne l’avait jamais revu depuis son enfance (il s’était engagé à ne plus revenir en Espagne tant que Franco était au pouvoir). Nous l’avons retrouvé, et il sera dans l’exposition.

 

Entre cirque, musique et tauromachie, et de l’artisanat d’art à la sculpture, cette exposition explore l’œuvre de Picasso dans toute sa richesse. Et réserve son lot de surprises !

Cette capacité à rebondir sur tout ; de faire, de tout, les pièces d’un puzzle plein de surprises, c’est le génie de Picasso. Nous espérons proposer une exposition dynamique et jubilatoire… Tout en restant sérieux dans notre propos ! La scénographie proposée par Jacques Sbriglio et son équipe devrait d’ailleurs aider à cet émerveillement que nous souhaitons. Cette part du jeu est très importante dans la construction de l’œuvre de Picasso, qui savait allier distance et profondeur avec une facilité déconcertante.

Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg (janvier 2016)

 

 


Parcours de l'exposition

Parcours de l’exposition

Pablo Picasso, Parodia de Exvoto La Virgen aparenciéndose a Miguel Utrillo, accidentado, 1899-1900 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Parodia de Exvoto La Virgen aparenciéndose a Miguel Utrillo, accidentado, 1899-1900 © Succession Picasso 2016

« Un génie sans piédestal » : Michel Leiris emploie cette expression en 1988 dans l’avant-dernier des nombreux textes qu’il a écrits sur Picasso.

 

Quatre sections rythment la visite de cette exposition :

– Picasso et la vie quotidienne : racines

– Des objets et des thèmes fétiches

– Les techniques et leurs détournements

– L’objet matériau

 

Picasso et la vie quotidienne : racines

Peigne, Espagne, début du XXe siècle. © Mucem
Peigne, Espagne, début du XXe siècle. © Mucem

Dans l’œuvre de Picasso, notamment dans les compositions de jeunesse, le quotidien s’impose comme un thème et un environnement essentiels. Mais, lorsque plus tardivement, l’artiste revient sur ses souvenirs et les intègre à son vocabulaire avec le recul du temps écoulé, il sacralise ces marques d’un passé qu’il sait révolu mais auquel il attribue une part essentielle de sa propre construction. Ainsi revendiqués comme des racines, au même titre que les apprentissages et les connaissances académiques, ces sujets et techniques prennent évidemment une tout autre dimension que le seul témoignage d’une nostalgie réparatrice. Pour exemple, dans le monde même de la peinture, la connaissance des ex-voto populaires s’imprime très tôt, comme dans le petit ex-voto du Musée Picasso de Barcelone (exceptionnellement prêté à l’occasion de l’exposition). Ces manifestes de référence aux arts et traditions populaires encore très vivaces à l’aube du XXe siècle imposent la force de leur ambition pour ouvrir le parcours d’une exposition qui tour à tour dessine les champs thématiques et les applications techniques de cette inspiration.

Des objets et des thèmes fétiches

Pablo Picasso, L’acrobate bleu, novembre 1929 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, L’acrobate bleu, novembre 1929 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Masque, Paris 1919 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Masque, Paris 1919 © Succession Picasso 2016

Coiffures et costumes populaires

De nombreux portraits, même tardifs, arborent des éléments de costumes traditionnels. Autour de l’emblématique mantille, le motif des coiffes féminines abonde dans l’œuvre, peint, gravé et dessiné. La femme ainsi parée revendique un statut d’icône d’hispanité. Et s’il profite à merveille des opportunités graphiques que lui offre la résille des dentelles, Picasso inscrit aussi très lucidement ce jeu plastique dans une parfaite appréhension des codes sociaux que signent ces accessoires, évoquant tour à tour la pudeur des vierges en voiles blancs et la séduction des regards perçant à travers les arabesques noires des motifs chantournés.

Dans un autre registre, Picasso s’empare très tôt des baratines masculines, fortement inscrites dans l’image virile de la mythologie populaire catalane, pour construire de remarquables portraits cubistes qui s’impriment alors dans la quête primitiviste puisée.

 

Les instruments de musique

La guitare est bien sûr un motif d’identité hispanique et l’icône de la musique populaire qui a accompagné l’enfance puis la jeunesse bohème de Picasso à Barcelone. Elle est à l’origine d’œuvres essentielles comme les collages cubistes et fait assurément partie des emblèmes de l’inspiration de l’artiste qui l’évoque tout au long de son œuvre. Objet en volume, motif peint, fétiche des saltimbanques qui peuplent l’œuvre de Picasso, la guitare n’est pas seule dans cet orchestre silencieux. La mandoline, par exemple, apparaît fréquemment comme dans le magnifique assemblage que le Musée Picasso-Paris a accepté de prêter à l’exposition.

 

Le cirque

L’importance du cirque dans l’œuvre de Picasso est une évidence qui s’impose très tôt et qui dure dans l’inspiration du peintre. Véritable évènement et rassemblement populaire, ce spectacle suscite chez Picasso un enthousiasme jamais éteint et apparaît dans des créations de techniques très variées. Les figures de saltimbanques dans les périodes rose et bleue marqueront toute l’iconographie circassienne du XX siècle en insistant sur cette aristocratie plébéienne qui est une image forte et inédite de l’artiste. Le motif de la piste et les rites du spectacle nomade font évidemment clairement écho au monde et à l’espace de la tauromachie. Au cirque s’attache, chez Picasso, tout un cortège de masques et de parades populaires qui traversent l’œuvre de l’artiste. Et si le thème du chapiteau et de la bohème circassienne hante toute l’inspiration de la peinture moderne dans le sillage, notamment, de l’impressionnisme, il prend chez Picasso une ampleur exceptionnelle.

 

La tauromachie

Véritable motif identitaire et iconique de l’Espagne éternelle, de l’Espagne martyre et de l’Espagne perdue, la tauromachie prend, notamment à partir des années 1930 et après la Seconde Guerre mondiale, une place essentielle dans l’inspiration de Picasso. Ce rite absolu de l’hispanité  et donc de l’identité de l’artiste s’inscrit comme le cœur de ce parcours, avec toute la richesse des techniques (peinture, sculpture, dessin, gravure, céramique, affiche…) qu’utilise Picasso pour l’évoquer et l’invoquer. Il existe évidemment de nombreuses œuvres évoquant la scène tauromachique comme un espace rituel et créatif, mais d’autres abordent tel ou tel détail de la tradition ou de la geste taurine ou construisent une véritable galerie de portraits de toreros. Cet ensemble constitue presque une exposition dans l’exposition en insistant sur l’attachement de Picasso à ces rendez-vous dramaturgiques dont il crée même une tradition à Vallauris, avec ses affiches, ses assemblées médiatiques et ses convives jusqu’à l’ultime séance et sa mise à mort illégale. Dans cette présentation, le très joli film du céramiste Robert Picault (1919-2000), conçu avec Picasso qui le nourrit de ses découpages, crée une animation très efficace de poésie et d’invention.

 

Les jouets

Pour chacun de ses enfants, Picasso a réalisé des jouets dans des matériaux divers. Le jouet est aussi un élément plastique signifiant qui apparaît dans des portraits, souvent en reprenant des objets très simples, comme le traditionnel cheval à tirer en bois et papier mâché. Les collections familiales conservent des témoignages souvent émouvants de cet intérêt pour le ludique et le monde de l’enfance. Certains découpages, par exemple, avec leur naïveté feinte, semblent presque des dessins d’enfant avec l’usage très appuyé des crayons de couleur. Par ailleurs, ces jeux et jouets peuvent être des échos ou des résonances d’autres travaux de l’artiste, notamment dans le monde de la sculpture. Ainsi Lionel Prejger évoque, dans ses souvenirs, que la première sculpture en métal qu’il ait réalisée avec Picasso est un cheval à roulettes, en tube, que l’artiste destinait à Bernard, son petit-fils. Et, pour l’une de ses sculptures d’assemblage les plus célèbres, La Guenon et son petit, Picasso utilise les petites voitures de son fils Claude pour construire la tête de l’animal. De telles œuvres annoncent cette question formelle de l’utilisation d’objets ou de gestes techniques du quotidien pour une création statuaire qui conclut le parcours de l’exposition.

 

La colombophilie

L’apparition de la colombe dans l’imagerie politique de la guerre froide est certes liée à l’engagement de Picasso au Parti communiste français. Et le succès de cette icône contribue durablement à créer l’image d’un artiste populaire. Mais ce motif peut égale- ment être relié à la tradition de la colombophilie très prégnante en Espagne. Une œuvre du père de Picasso, montrant dans un style très naturaliste l’intérieur d’un pigeonnier, ancre ce sujet dans l’enfance espagnole du peintre et, à La Californie, sur les hauteurs de Cannes l’artiste aménagera son pigeonnier, à l’origine d’une remarquable série de toiles aujourd’hui conservée à Barcelone. À la même époque, coupant dans des lastres de terre comme dans des feuilles de papier, Picasso construit des pigeons en pliages, sorte d’origamis japonais. D’autres oiseaux naissent de la déformation, rapide et précise à la fois, de bouteilles en terre molle que vient de tourner Jules Agard dans l’atelier Madoura.

 

 

 

Les techniques et leurs détournements

Pablo Picasso, Femme assise, automne 30 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Femme assise, automne 30 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Oiseau (Colombe), 7 janvier 1953 © Succession Picasso 2017
Pablo Picasso, Oiseau (Colombe), 7 janvier 1953 © Succession Picasso 2017
Pablo Picasso, Serrure, vers 1955 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Serrure, vers 1955 © Succession Picasso 2016

Notamment dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale, Picasso, à l’occasion de rencontres fortuites ou provoquées, s’intéresse à des techniques qui nourrissent ses recherches plastiques. Il est intéressant de noter que chacune de ces aventures partagées, avec un artisanat ou une profession bien spécifiques, est liée avec une personne ou un atelier dont Picasso sait à la fois s’instruire et se libérer très rapidement.

 

Le bois

Marqué par sa rencontre de jeunesse avec Paco Durrio (1868-1940), Picasso se souvient longtemps du travail de Gauguin auquel l’a initié son ami basque. Les œuvres en bois sont sans doute la part de cet héritage qui marque le plus le jeune Picasso. Quelques pièces anciennes sont toujours conservées et éclairent parfaite- ment cet ancrage dans le rêve de « l’art dans tout ». Par ailleurs, au Musée Picasso-Paris, un ensemble peu connu d’œuvres en bois sculptées au couteau autorise des perspectives troublantes avec l’art dit des bergers (cannes, petits objets…) que Picasso devait certainement connaître, notamment après l’expérience de Gosol et Horta qui lui avait ouvert la voie du cubisme

 

La céramique

La céramique utilitaire fait partie de l’environnement du jeune Picasso dans son enfance, antérieure à l’arrivée des instruments et récipients en métal manufacturés. L’artiste s’en empare très tôt avec des assiettes ou des carreaux peints et même avec une première pignate décorée lors de son arrivée à Paris. Dans les années 1920, avec Jean Van Dongen, l’idée d’une première série de vases décorés confirme un intérêt réel. Mais c’est à la fin des années 1940 qu’avec l’atelier Madoura animé par Jean et Suzanne Ramié, Picasso va accomplir, sur la Côte d’Azur, à Vallauris, petite cité communiste de tradition potière depuis l’Antiquité, son œuvre en terre, riche de plusieurs milliers de références, qui bousculera définitivement le monde de la céramique d’artiste.

Pour insister sur l’ancrage de cette œuvre en terre dans les sources ressurgies de formes ancillaires de son enfance, Picasso en a sacralisé certaines, souvent utilisées ou reprises, comme les pignates qu’il couvre notamment de motifs à l’antique, les poêlons qu’il transforme en masques de théâtre, les gazelles d’enfournement sur lesquelles apparaissent des portraits évoquant ceux du Fayoum égyptien, les gus transformés en insectes étranges, et les tomettes, supports à scènes antiques ou tauromachiques, ou ailleurs véritables sculptures bifaces reprenant les grands thèmes picassiens du moment comme la chouette. Dans ces sacralisations de références populaires, le rapport à la terre est souvent particulièrement fort et évident.

Un autre aspect de ce travail semble faire jeu avec la production de céramiques-souvenirs qui animent alors les étals de Vallauris avec leurs émaux tape-à-l’œil et dont Picasso s’empare par exemple dans ses assemblages de poissons sur des assiettes aux généreuses et traditionnelles formes Louis XV. Une suite pratiquement inédite d’assiettes à pans coupés, décorées comme des souvenirs pittoresques de la cité potière, témoigne aussi de ces résonances inattendues.

 

L’orfèvrerie

La tradition d’orfèvrerie, héritée du passé arabo-andalou, est un élément fort de l’artisanat espagnol. La rencontre avec l’orfèvre François Hugo qui anime, près d’Aix-en-Provence, un atelier proche d’artistes et de créateurs de mode, permet à Picasso de construire un remarquable ensemble de grands plats et de compotiers en argent décorés selon la technique du métal repoussé. Cette séquence suit immédiatement l’évocation de la céramique parce que les deux expériences sont liées. En effet, les grands plats en argent reprennent leurs équivalents en pâte blanche édités par Madoura. Mais le changement de matériau induit un vrai basculement qui prouve de façon éclatante la porosité entre ces incursions dans le monde de l’artisanat et les gestes de l’artiste, graveur ou même sculpteur.

 

La linogravure

Déjà évoquée dans la séquence consacrée à la tauromachie avec quelques affiches composées pour les saisons taurines de Vallauris, cette technique est utilisée par Picasso notamment dans l’atelier d’Hidalgo Arnéra qu’il rencontre également sur la Côte d’Azur. Une suite complète d’affiches pour les expositions annuelles de céramiques à Vallauris crée un ensemble particulièrement saisissant, en même temps qu’elle paraît, avec sa régularité, revendiquer l’inscription de Picasso dans la communauté artisanale des céramistes vallauriens. En fait, cette technique avoue, par les effets de contrastes colorés, l’héritage de la xylographie. Rapprochées d’un ensemble d’imagerie populaire, les linogravures de Picasso expriment certes cette dette, mais elles montrent aussi toutes les audaces d’un artiste qui bouscule sans retenue son modèle.

 

Le tapis

Très lié à la gravure par les effets d’aplats colorés qu’il impose avec des dessins très simples et souvent monocolores, le travail de Picasso pour l’art du tapis, auquel il s’adonne en partenariat avec l’atelier de Marie Cuttoli (1879-1973), constitue un ensemble très lumineux et ambitieux. Des perspectives intéressantes permettent de lier cette production au monde du tapis populaire — par exemple le tapis boucherouite marocain — avec ses teintures simples, ses variations colorées et ses effets de matières.

 

Le métal et le béton

Les rencontres avec Lionel Prejger et avec Carl Nesjar vont susciter chez Picasso une extraordinaire production de sculptures en tôle découpée et en béton gravé. Dans leur simplicité de graphisme et de mise en œuvre, ces sculptures jouent de ressemblances troublantes avec les nouveaux supports de la publicité qui envahissent alors l’espace public et dans lesquels certaines de ces œuvres trouvent parfois leur aboutissement, dans des proportions alors ambitieuses, voire monumentales.

L’objet-matériau : les sculptures d’assemblage

Pablo Picasso, Tête de taureau, 1942 © Succession Picasso 2016
Pablo Picasso, Tête de taureau, 1942 © Succession Picasso 2016

Dans les années vallauriennes, Picasso compose un nombre important  de  sculptures  d’assemblages  selon  les  principes qu’il avait déjà initiés avant-guerre et qui révolutionnent alors le monde de l’art en trois dimensions. Certaines de ces œuvres apparaissent dans les sections thématiques (Tête de taureau pour la tauromachie, La Guenon et son petit pour les jouets par exemple) mais il a paru intéressant de construire, en conclusion de ce parcours, une vraie galerie de sculptures d’assemblage dans lesquelles se lisent aisément et les objets glanés et les matériaux recyclés. Dans ce musée picassien, ces sources d’inspiration prosaïque donnent à l’exposition une chute spectaculaire et signifiante avec cet ennoblissement  iconoclaste de tuyaux, de paniers, de cruches, de jouets… offerts à une nouvelle vie. Bel écho au regard qu’à la même époque offre aux visiteurs le Musée national des arts et traditions populaires, consacré à des collections jusqu’alors ignorées et même méprisées.

Commissariat de l’exposition

Joséphine Matamoros

Conservateur en chef du patrimoine, directrice honoraire du Musée d’art moderne de Céret, directrice du Musée d’art moderne de Collioure.

Joséphine Matamoros a dirigé le Musée d’art moderne de Céret de 1986 à 2012, le Musée d’art moderne de Collioure depuis 1987 et accompagné le chantier de restructuration et d’agrandisse- ment du musée de Céret. Elle a mené une politique culturelle à vocation transfrontalière et internationale, donnant ainsi une forte lisibilité à l’histoire des arts plastiques qui s’est déroulée entre Céret, Collioure et Cadaquès, trois cités qui ont vu passer les plus grands artistes du XXe siècle : Picasso, Braque, Juan Gris, Soutine, Chagall, Matisse, Derain, Camoin, Marquet, Survage, Dali et Duchamp. Elle continue à explorer ce sujet d’étude et de recherche à travers des publications et des actions culturelles. Elle a organisé et assuré le commissariat de très nombreuses expositions d’art moderne et contemporain, notamment : Auguste Herbin, Antoni Tàpies, Raoul Haussmann, Bernard Pagès, Ben, Claude Viallat, Joan Brossa, Richard Serra, Joan Miró, Simon Hantaï, Shirley Jaffe, Chaïm Soutine, Sarkis, Raoul Duffy, Ernest Pignon, Vincent Bioulès, Riera i Aragò, Léopold Survage, Marc Chagall, et en particulier sur Matisse et le fauvisme, et Picasso et le cubisme.


Bruno Gaudichon

Conservateur en chef du patrimoine, conservateur de La Piscine-Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix.

Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon ont été co-commissaires des expositions Picasso. Objets de peintre / peintre d’objets à Céret et Roubaix en 2004, et Picasso céramiste et la Méditerranée à Aubagne, Sèvres et Washington en 2013, 2014 et 2015


Emilie Girard

Conservateur du patrimoine, responsable du Centre de conservation et de ressources du Mucem.

Au cours de ses études en histoire de l’art et ethnologie, Émilie Girard se spécialise en Antiquité tardive et débute des travaux de recherche sur la Bible égyptienne et ses différentes versions coptes. Conservateur du patrimoine, elle rejoint l’équipe du Mucem en 2006, à sa sortie de l’Institut national du patrimoine. En 2008, elle prend la direction du département des collections du musée où elle conduit entre autres le chantier qui a permis le transfert de Paris à Marseille de l’intégralité des collections et fonds conservés, ainsi que le projet de Centre de conservation et de ressources (CCR) qu’elle dirige aujourd’hui et dont elle coordonne la programmation des expositions temporaires. Elle a participé au commissariat de plusieurs expositions du Mucem (Galerie de la Méditerranée, Food…) et est également chargée du pôle

« Croyances et religions » du musée. Elle a à ce titre publié plusieurs articles consacrés aux objets religieux conservés par le musée.

Scénographie

 Scénographie de l'exposition Picasso « Un génie sans piédestal »,  Picasso et les arts & traditions populaires (c) Agnès Mellon / Mucem
Scénographie de l'exposition Picasso « Un génie sans piédestal », Picasso et les arts & traditions populaires (c) Agnès Mellon / Mucem

Jacques Sbriglio

Jacques Sbriglio est architecte urbaniste. Il dirige l’agence Sbriglio architectes installée au cœur de la métropole Aix-Marseille.

Parmi ses différents secteurs d’activité, comme l’urbanisme et l’architecture, cette agence compte également de nombreuses références en France et à l’étranger en matière de scénographie d’expositions. Parmi celles-ci on peut noter : l’Arteplage de Neuchâtel en Suisse (2002), mais également toute une série d’expositions réalisées autour de l’œuvre de Le Corbusier, que ce soit en Autriche (1998), à Taiwan (2002), en Inde (2007), au Brésil (2009), et enfin à Marseille (2013) dans le cadre de l’an- née Capitale de la culture. Professeur des Écoles d’architecture, Jacques Sbriglio est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et conférences sur l’architecture moderne et contemporaine.

www.sbriglio-architecte.fr

 

« Picasso conduisait les spectateurs à examiner la cohérence interne de son art. Au lieu de placer son travail de façon à tracer une évolution d’une période à une autre distincte, il brouillait la trajectoire d’abord en contredisant toute progression simple et en attirant l’attention à la fois sur la consistance remarquable des sujets et sur la variété de ses interprétations… On peut dire que l’accrochage était en soi une œuvre d’art. »

Michael Fitzgerald, à propos de la rétrospective Picasso organisée par lui-même à la Galerie Georges Petit à Paris en 1932. Cité par Pierre Daix dans Pablo Picasso, Éditions Taillandier 2007.

Exposer Picasso à Marseille, et qui plus est, dans le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, recouvre plus d’une signification. D’abord autour de la biographie de ce peintre qui, de Malaga en passant par Barcelone et la Côte d’Azur, aura choisi cette terre d’élection, la Méditerranée et sa lumière, pour y développer une partie importante de son œuvre. Ensuite parce que, comme l’indique Pierre Daix, un lien particulier lie Picasso avec Marseille où en compagnie de Braque il vient, au cours de l’année 1912, visiter les nombreuses boutiques coloniales présentes dans cette ville afin d’acheter des masques africains et autres objets d’art nègre, dont on va retrouver les influences dans la peinture qu’il va mettre en œuvre au cours des années qui vont suivre.

Mais au-delà de ce préambule, imaginer une scénographie autour de l’œuvre de Pablo Picasso réclame quelques exigences tant cette œuvre, célébrissime par-delà les années, requiert, pour être exposée, un cadre dans lequel aucune extravagance formelle n’est permise, de même que tout effet de matières ou de couleurs. En effet, la force d’expression de ces œuvres est telle que celles-ci parlent d’elles-mêmes, obligeant ainsi le contenant à s’effacer derrière le contenu. Pour ce faire, la scénographie proposée ici autour du thème « Picasso et les arts et traditions populaires » prend son sens autour de trois idées clefs. La première construit un parcours en résonance avec l’architecture du Mucem conçue sur le principe d’une ziggurat reliant le port à la ville. La deuxième séquence se déroule au fil des différentes sections de cette exposition à partir de la mise en place d’une série d’icônes spatiales définissant le cadre de chacune de ces sections. La troisième organise une sorte de portrait croisé entre les œuvres de Pablo Picasso et les objets référents issus des collections du Mucem, sans que jamais le visiteur puisse les confondre.

Quant à l’ambiance lumineuse de cette scénographie, elle exalte le blanc en opposition avec les ambiances crépusculaires des espaces du Mucem mais également en référence à l’œuvre de Picasso qui a parcouru toutes les étapes, et même au-delà, de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’art moderne.

Quatre sections rythment la visite de cette exposition.

La première, qui correspond à la séquence d’entrée, intitulée :

« Picasso et la vie quotidienne : racines », rappelle les liens existant entre l’œuvre de Picasso et les rites et traditions populaires. Elle est symbolisée ici par un espace pensé comme un petit oratoire.

La deuxième, « Objets et thèmes fétiches », en référence aux thèmes de la musique, du cirque ou de la tauromachie – si présents dans l’œuvre du peintre –, est dominée par la figure circulaire de l’arène et / ou de la piste qui vient s’inscrire comme le centre de gravité de la composition d’ensemble de cette scénographie.

La troisième, nommée « Les techniques et leurs détournements », enchaîne une suite d’espaces ordonnée autour de la céramique, qui constitue, de par le nombre d’objets présents, un des espaces majeurs de cette exposition.

Enfin la quatrième et dernière section, « L’objet matériau », se présente sous la forme d’une grande galerie de sculptures, ouverte sur la Méditerranée visible depuis cette salle au travers de la résille de la façade du Mucem, comme un dernier clin d’œil à la mantille, si chère à la mémoire de la culture hispanique.

Jacques Sbriglio — Architecte scénographe


Partenaires et mécènes

Avec le soutien de la Fondation d’entreprise PwC France et Afrique francophone pour la culture et la solidarité, mécène fondateur du Mucem

 En partenariat avec : BFMTV, Air France, Renfe SNCF, Le Figaro, Trois Couleurs, France Bleu Provence, France Inter