• Pierre Audebert, Ile du Levant, 1935, coll. Éliane Schoeffert-Audebert © Archives Pierre Audebert
    Pierre Audebert, Ile du Levant, 1935, coll. Éliane Schoeffert-Audebert © Archives Pierre Audebert

Paradis naturistes


Mucem, J4— J4
| Du mercredi 3 juillet 2024 au lundi 9 décembre 2024

Un nouvel engouement se manifeste aujourd’hui pour les pratiques de nudité dans la nature, engouement qui va de pair avec la recherche d’une alimentation saine, végétarienne, ou encore le recours aux thérapeutiques naturelles, à la méditation ou au yoga en plein air. Ces modes de vie, mais aussi le rejet des diktats qui pèsent sur nos corps, sont autant de clés de lectures contemporaines pour comprendre les enjeux des naturismes d’hier et d’aujourd’hui.

La France est la première destination touristique au monde pour les naturistes : son climat tempéré et la présence de trois mers ont facilité l’installation de communautés, qui – excepté en Suisse – ont peu de véritables équivalents ailleurs en Europe, où le naturisme se pratique de manière plus libre, hors de communautés constituées. Mais d’autres raisons, historiques, culturelles, juridiques, expliquent la singularité et la longévité des communautés installées en France.

Alors, vivre nu en communauté pour communier avec la nature serait-il le secret du bonheur et de la santé ? Pourquoi et comment la France est-elle devenue un « paradis naturiste » ? Mais au fait, naturisme et nudisme, est-ce la même chose ?

En tant que musée de société implanté à Marseille, cité méditerranéenne autour de laquelle plusieurs lieux naturistes importants se sont développés, il semblait naturel que le Mucem cherche à explorer ce phénomène singulier et fédérateur qu’est le naturisme, ou plutôt les naturismes, car ils sont pluriels.

Dans une scénographie solaire conçue par l’agence Trafik, l’exposition « Paradis naturistes » réunit 600 photographies, films, revues, objets quotidiens, peintures, dessins, livres, estampes et sculptures.

Ils sont issus des archives des communautés naturistes, ainsi que de collections privées et publiques françaises et suisses, parmi lesquelles : le Musée national d’art moderne MNAM/CCI Centre Pompidou, le musée du Louvre, la Bibliothèque nationale de France, le musée Bourdelle, le musée des Beaux-Arts de Rennes, le musée de l’Éphèbe et d’archéologie sous-marine d’Adge, le musée des Beaux-Arts de Dole, la Cinémathèque de Paris, l’INA, les Archives départementales des Yvelines, les Archives municipales d’Agde, le syndicat d’administration d’Héliopolis – île du Levant, la Fondation Henri Cartier-Bresson, la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, la Bibliothèque nationale suisse à Berne, le Bündner Kunstmuseum à Coire, la Cinémathèque de Berne, la Fondazione Monte Verita à Ascona.

 
Commissariat :
—Bernard Andrieu, philosophe, professeur au sein de l’Institut des sciences du sport et de la santé de Paris, université Paris Cité.
—Jean-Pierre Blanc, directeur de la villa Noailles.
—Amélie Lavin, conservatrice en chef au Mucem, responsable du pôle Corps, apparences, sexualités.
—David Lorenté, ingénieur des systèmes et techniques audiovisuels et multimédia à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et doctorant, université Paris Cité.
Commissaires associés :
—Julie Liger, directrice adjointe de la villa Noailles.
—Thomas Lequeu, associé à la direction artistique pour la villa Noailles.
Scénographie : agence Trafik

 

Entretien avec Amélie Lavin, co-commissaire de l’exposition 

 

Mucem.

Pourquoi le Mucem a-t-il choisi de s’intéresser au naturisme pour cette nouvelle exposition ? 

A.L.

Le naturisme est un phénomène de société contemporain qui connaît depuis quelques années un vrai renouveau, notamment en France, première destination touristique au monde pour les naturistes. Les littoraux du Sud, notamment les bords de la Méditerranée, attirent particulièrement celles et ceux qui sont à la recherche d’espaces de nature préservée pour libérer leur corps de toutes formes de contraintes. Ôter ses vêtements est un geste de libération, une utopie de retour à une vie plus essentielle, en symbiose avec la nature et le vivant. Pour un musée de société comme le Mucem, il paraissait évident et nécessaire de se pencher sur ce fait de société et sur son histoire, d’autant que ce sujet est totalement inédit en France, où jamais aucune exposition n’a encore été organisée autour de ces questions.

 

M.

Qui étaient les premiers naturistes ? Comment cette pratique a-t-elle évolué ?

A.L.

Les premiers naturistes, contrairement à ce qu’on imagine, étaient médecins et avaient en commun un rejet de la vie urbaine et de l’industrialisation foudroyante subie par l’Europe pendant le 19e siècle. Le naturisme est d’abord une pratique thérapeutique qui invite à fortifier son organisme au contact des éléments naturels : bain d’eau, air pur, exposition au soleil, alimentation végétale et soins par les plantes. La nudité n’en est qu’une des composantes, on se déshabille peu à peu pour profiter au mieux des bienfaits offerts par la nature, on modèle son corps en faisant du sport en plein air, on ne mange pas de viande, on ne boit pas d’alcool. Le végétarisme et l’hygiène de vie sont vraiment des éléments essentiels dans les tout premiers cercles naturistes en Allemagne, en Suisse, puis en France. Peu à peu, la nudité intégrale s’expérimente puis s’installe. La dimension médicale et un peu austère des débuts laisse place à des pratiques plus hédonistes : le plaisir du soleil sur la peau, la liberté totale, sans contraintes, dans des petits paradis de nature. 

 

M.

L’exposition s’attarde sur plusieurs communautés naturistes françaises. Qu’est-ce qui les caractérise ? 

A.L.

Ce qui est intéressant avec l’histoire des naturismes en France, c’est qu’elle s’est construite entre les deux guerres, dans un pays où la nudité était marquée par la honte et la censure du corps nu, contrairement à l’Allemagne, par exemple, où la Freikörperkultur, la « culture du corps libre », s’est ancrée dans les mœurs dès la fin du 19e siècle. Puisque montrer son corps dénudé était inconcevable, il fallait inventer des lieux clos pour se protéger des regards : les premières communautés se sont créées dans des châteaux privés, ou sur des îles. Il fallait aussi construire des réseaux d’adeptes et débattre, communiquer, pour faire accepter ces nouvelles formes de pensées et de vie. Chacune des communautés sur lesquelles nous nous attardons dans l’exposition a joué un rôle essentiel dans l’histoire des naturismes français et européens. Chacune, grâce à la personnalité de ses pères et mères fondateurs, a inventé « son » naturisme, contribuant à forger des pratiques diverses plutôt qu’un naturisme uniforme et monolithique.

 

M.

En quoi le rapport au corps et à la nudité est-il différent selon les pays en Europe ? 

A.L.

Tous les pays d’Europe n’ont pas le même rapport à la nudité, ni les mêmes juridictions. En France, si le délit d’atteinte à la pudeur n’existe plus depuis 1994, il a été remplacé par un délit d’« exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui ». De fait, il reste interdit de se montrer nu dans tous les espaces publics, sauf, justement, dans certains lieux soumis à autorisation comme les campings ou plages naturistes. Même chez soi, la nudité n’est « légale » que si l’on reste caché aux regards extérieurs. Au contraire, depuis quelques années, voire quelques décennies, plusieurs pays d’Europe, comme l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, la Grande-Bretagne, ont vraiment dépénalisé la nudité, en la différenciant clairement de l’exhibition sexuelle lorsqu’elle est pratiquée dans des lieux comme les parcs, les bords de rivière, les forêts, les plages – ou même des espaces privés, comme sa maison, son balcon ou sa voiture… Dans les pays scandinaves également, et de longue date, la nudité est possible partout, sauf là où elle est expressément interdite. Exactement l’inverse de la loi française, qui juge la nudité comme forcément sexuelle, et donc répréhensible, partout où elle n’est pas explicitement autorisée.

 

M.

Cette exposition est-elle interdite aux mineurs ? 

A.L.

Absolument pas ! L’exposition ne montre rien de pornographique, ni rien d’explicitement sexuel, elle n’a donc pas de raison d’être interdite aux mineurs. Notre objectif est justement de déconstruire les idées reçues et stéréotypes sur le naturisme, qui est d’abord une philosophie de vie, une pratique familiale réunissant des gens de tous âges et de tous milieux, qui cherchent à vivre avec simplicité au contact de la nature. La question de la sexualité n’est pas plus centrale dans les milieux naturistes qu’ailleurs – sauf à Agde, où certaines communautés libertines se sont développées autour de lieux hypersexualisés que nous évoquons brièvement, mais sans montrer d’images. 

Bien sûr, nous avertissons tous les publics que de nombreux corps entièrement nus sont visibles dans l’exposition. Chacun pourra donc choisir en toute liberté de venir découvrir, seul ou en famille, la joyeuse aventure de la liberté naturiste.

 

 

Propos recueillis par Sandro Piscopo Reguieg (mai 2024)

 

Avec le soutien de : 

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 Cette exposition fait partie de la programmation des Rencontres d’Arles dans le cadre du Grand Arles Express

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Le Mucem alerte le public sur l'image de la nudité intégrale s'agissant de personnes photographiées ou filmées dans leur pratique du naturisme.