Philippe Descola © Claude Truong Ngoc Wikimedia Commons

Philippe Descola © Claude Truong Ngoc Wikimedia Commons

Penser la nature à l’heure de l’Anthropocène

Cycle Pensées du monde

Rencontres-débats/Conférences

Conférence
Par Philippe Descola (anthropologue)

Introduction et discussion : Yann-Philippe Tastevin (ethnologue, commissaire de l’exposition Vies d’ordures)

Si les humains sont devenus une force naturelle capable de déstabiliser le « système Terre », ne doit-on pas mettre en question le « grand partage » entre nature et culture qui structure la pensée des Modernes ? L’anthropologue Philippe Descola révèle qu’il existe des sociétés où les hommes savent composer autrement des mondes avec ce qui n’est pas « eux » : les animaux, les plantes, les choses, les montagnes et les vallées, le ciel et la terre... Et nous invite à nous aventurer « par-delà nature et culture ».

Tout a commencé pour Philippe Descola à la fin des années 1970 en Haute-Amazonie. Durant trois ans, pour les besoins de sa thèse d’ethnologie sous la direction de Claude Lévi-Strauss, il a partagé la vie des Jivaros Achuar, le « peuple du palmier d’eau ». Peu à peu, il est entré dans une autre composition du monde, où le jaguar solitaire a une place semblable à celle du chamane, où le chasseur chante pour demander au singe laineux de se laisser tuer, où les plantes du jardin sont des enfants, le toucan un beau-frère, où la nature fait partie de la maison commune, ce que l’anthropologue appellera « la nature domestique ». De cette expérience, Philippe Descola rapportera sa thèse et un splendide récit, Les Lances du Crépuscule. Il ne cessera par la suite de méditer et creuser ce terrain jusqu’à remettre la nature au cœur des sciences de l’homme. Il est aujourd’hui Professeur au Collège de France, titulaire d’une chaire d’Anthropologie de la nature, non pour s’interroger sur une hypothétique « nature humaine » mais pour élargir aux dimensions du monde la manière dont humains et non-humains négocient leur coexistence. Ce qu’il appelle « composer des mondes ».

Philippe Descola a développé en système sa thèse dans Par-delà nature et culture, paru en 2005 et salué comme un des ouvrages majeurs dans l’héritage et la discussion de Claude Lévi-Strauss. Dans ce livre, il dégage quatre grandes cosmologies (naturalisme, animisme, totémisme, analogisme) qui fondent les sociétés selon la manière dont y sont inclus les non-humains (animaux, plantes, choses, astres, pierres et fleuves…), identifiés en continuité ou en discontinuité avec l’homme, semblables ou différents dans leur vie physique et spirituelle. Il s’agit en somme de différentes configurations de tout ce qui existe. C’est pourquoi Philippe Descola parle d’ontologies. Chacune d’elle a été formée par des peuples et civilisations spécifiques, parfois depuis des millénaires, même si, c’est l’hypothèse de Descola, elles peuvent en puissance coexister chez chacun des humains.

En tout cas notre « naturalisme », que nous croyons universel, est en réalité une exception, un modèle parmi d’autres. C’est ce que l’anthropologue révèle en mettant en question « le grand partage » entre une nature universelle et des cultures humaines diverses, qu’a opéré la pensée occidentale de l’Homme à partir de la fin du XIXe siècle. La nature alors, est vue comme un stock de ressources, elle devient muette, inanimée, on peut l’utiliser comme bon nous semble, au détriment des autres espèces que la nôtre et, à terme, des humains eux-mêmes. Nous en sommes précisément là lorsque ce dualisme a fabriqué le réchauffement global de la planète. Peut-être alors est-il temps de sortir de notre « ethnocentrisme » et de découvrir en nous-mêmes notre part d’animisme pour construire, enfin, une maison commune.

Philippe Descola est anthropologue, Professeur au Collège de France dans la chaire d’Anthropologie de la nature. Appuyé sur trois années d’enquête ethnographique parmi les Jivaros Achuar en Haute-Amazonie, il a élaboré une anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains, qu’il a exposée dans son maître livre Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005). Ses travaux rejoignent, s’inspirent, inspirent et discutent ceux notamment de Eduardo Viveiros de Castro ou de Bruno Latour sur les politiques de la nature, la sociologie des sciences et l’anthropologie des Modernes. Il est également Directeur de recherches à l’EHESS et a dirigé le Laboratoire d’Anthropologie sociale, fondé par Claude Lévi-Strauss de 2000 à 2013. Médaille d’or du CNRS en 2012, il est membre de la British Academy et de l’American Academy of Arts and Sciences.

En partenariat avec Médiapart

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Édition numérique


Penser la nature à l'heure de l'anthropocène
Conférence du cycle Pensées du monde « Nature, culture, ordures », 18 mai 2017
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À lire, à voir


De Philippe Descola : Les Lances du crépuscule (Plon/Terre Humaine, 1993), Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005), La Composition des mondes, entretiens avec Pierre Charbonnier (Flammarion, 2014).

« Comment penser l’Anthropocène ? », colloque organisé par Philippe Descola et Catherine Larrère au Collège de France les 5 et 6 novembre 2015.

 

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Voir aussi

  • Décharge de Mediouna, Maroc © Pascal Garret, Mucem

    Nature, culture, ordures

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