Palestine, d’Hubert Haddad

Palestine, d’Hubert Haddad

Lecture et rencontre

Rencontres-débats/Conférences

Hubert Haddad  répondait à une question l’interrogeant sur la part de l’imaginaire et celle de la réalité dans l’écriture de ses romans: L’imaginaire baigne dans la réalité et vice-versa, c’est un tel échange organique qu’on ne détermine l’un de l’autre… puis … Le retour sur terre, dans l’actualité, aurait un caractère éthique…*

 

Ces mots de l’écrivain nous plongent dans ce roman où la terre antique de Palestine et d’Israël attire par la force de la beauté de ses jours et de ses nuits. La tragédie, présence constante, par les blessés, les morts, les signes de mort, le désir de mort, choix accepté, parfois voulu, de ce destin humain, si terrible et si douloureux, parcoure l’espace du roman.

 

Les deux soldats Tzwir et Cham longent les ceintures de barbelés et les hauts boucliers de bétons, ce qui fait dire à Tzwir, C’est idiot leur histoire… Les oliviers d’un côté, les villages de l’autre.

Espaces cernés mais que l’on peut longer, îles palestiniens au milieu d’un autre territoire, parfois infranchissable, iles accessibles par de longs et épuisants, désespérants contournements, comme l’éprouve Nessim à la fin du roman. Espaces clos, celui des maisons palestiniennes, la bergerie, la tombe, la chambre d’hôtel à Hébron où Falastìn  et Nessim se rejoignent. Après les passages d’un lieu clos à un autre, c’est l’arrivée dans la cabane où tout s’accomplit, où un chant d’alouette s’essouffle dans l’azur ténébreux. Le dedans, abri contre l’intolérable du dehors, où l’on accède par un cheminement, est métaphore du cheminement intérieur si douloureux de Nessim, qui le reconduit à Cham: dans le silence…maintenant achevé. Il n’y plus âme qui vive.

 

L’écriture oscille entre le vécu de situations oppressantes et les descriptions poétiques du monde, comme si la grandeur et la beauté de ce dernier permettaient aux personnages de s’approcher d’une inaccessible paix, en s’extrayant de l’insoutenable. Le passeport toujours en main…le portrait l’interroge, anonyme et lisse, comme tous ceux qui vécurent…Ses yeux se plissent alors sur l’éblouissement des terrasses et des dômes , en contrebas d’une haie de cyprès. Mais le paysage est souvent le miroir du cœur du personnage, ici minéral, torturé, encerclé des arrêtes agressives des barbelés, fait de terrains vagues, …d’immenses tranchées, …de blocs de béton, de chemins déserts. Nessim redevenu Cham rejoint la cabane de son frère pour y mourir. Mourir à cause de l’insoutenable perte de ce frère, qui aurait pu vivre s’il avait connu Falastìn,  jeune fille à la blessure trop intime par la mort de ce père aimé, par la perte de son frère, pure dans sa recherche de la vérité, dans  sa chétive vénusté. Mourir de la traversée du miroir qu’a vécu Nessim.

 

Tout dans ce roman dit la tragédie de ce conflit dans le vécu de ces deux peuples, dans ce territoire à l’histoire bloquée.

Les divisions au sein des deux sociétés. Comme Manastir, dans le désir de la paix et Omar, un jeune voulant mourir martyr.

De l’espoir de paix de Falastìn. Du tragique de la destruction de sa maison par un bulldozer où sa mère, aveugle, ne vit pas l’ordre d’évacuation, et périt.

Des champs d’oliviers…arbres séculaires aux petites feuilles d’émeraude ou d’argent…A l’est d’Hébron, du côté des colonies et au sommet des collines, par milliers, mis en pièces ou confisqués, sous prétexte d’expropriation, de travaux et de châtiment.

Dans le rappel que fait Layla, de l’aide apportée par certains palestiniens, en 1929 aux juifs persécutés.

Et la rage contre les Palestiniens exprimée par ce touriste israélien dans le car vers Jérusalem, rappelant leurs souffrances avant l’établissement d’Israël.

De la perte d’un père de la jeune policière israélienne.

Ce qui fera dire au Major Mazeltof, en passant devant le Tombeau des Patriarches, Vous musulmans et nous, juifs, nous ne parvenons à être d’accord que sur des fables. Voilà bien le seul endroit du monde où on trouve une synagogue et une mosquée sous un même toit. Mais croyez-vous vraiment qu’Adam et Eve, Abraham et les autres soient inhumés là-dedans ?

 

Cependant l’histoire, surprenante et métaphorique de ce roman est le passage du soldat israélien Cham à Nessim, le frère de Falastìn. Blessé, ses papiers d’identité volés la veille, à Hébron, jeté dans une tombe pour être effacé du monde, où un froissement d’étincelles remplace la mémoire, en revenant à lui, Cham en ressort, tel un Lazare, avec le cri aigu d’un oiseau modulant Aujourd’hui où es-tu? « Ici, ici, ici », se répond à lui-même l’oiseau de Palestine.

La jeune fille veut voir en Cham ce frère disparu qui pensait comme son père, comme elle, à la force de la paix. Elle remplit l’espace intérieur, désormais libre de Cham devenu Nessim, par cet amour vibrant, pudique qui les unit, par cette parole N’es-tu pas mon frère, où ce mot peut appeler, au-delà du frère perdu, le frère humain, dans le doux échange réciproque des versets du Cantique des Cantiques.

 

C’est par la perte de tout ce qui le constituait, ses valeurs, sa morale, son histoire qu’il atteint cette limite de dépouillement intérieur et bascule dans le territoire de son humanité. Avec cette perte, il saisit, à fleur de cœur tout ce qu’il vit en tant que palestinien. Une nouvelle identité sur la même terre qu’avant et ce changement de regard fait dire au narrateur que…Le monde lui paraissait tellement étranger.

De la perte de Falastìn, d’une perte d’identité à une nouvelle, vierge de toutes marques antérieures, où la langue passe de l’arabe à l’hébraïque, dans une même continuité,  où la conscience  des valeurs humaines lui fait toucher l’insupportable, jusqu’à lui-même vouloir mourir comme -un martyr-.

 

Mais…On est toujours à fleur de miracle, puisque l’instant où nous vivons est à chaque instant l’unique et porte en lui tout le destin de l’univers.*

 

 

 

Mais pour comprendre que le propre de l’art, de la littérature en action, c’est de remettre en question le statut d’évidence*, l’on peut lire :

 

Et il eut un matin, de Sayed Kashua , écrivain et journaliste israélien arabe

Le bien des absents, d’Elias Sanbar, historien, poète palestinien

Beaufort, de Ron Leshem, journaliste israélien

 

 

Ghyslaine Schneider

Conceptrice du Café littéraire des Amis du Mucem

 

* Extraits d’interview donnés par Hubert Haddad sur le site des Editions Zulma

Tarifs

Entrée libre dans la limite des places disponibles, sur réservation.

Lieu Salles de réunion et de conférences de l'I2MP
Type de public Tout Public