Michel Agier © DR

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Flux et reflux d'humanité. L'hospitalité et la cosmopolitique, aujourd'hui et demain

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Conférence d'ouverture par Michel Agier (anthropologue)
 
Agir au nom de l'hospitalité mobilise depuis quelques années toute une part des sociétés européennes à la place voire contre l’hostilité ou la crainte affichées par les Etats qui provoquent des drames sans fin autour de la migration. Mais aujourd'hui comme autrefois, l'hospitalité reste une faveur, limitée dans le temps et l'espace. On s’interrogera sur la possibilité et la portée d’une politique de l’hospitalité aujourd’hui, et du passage d’un « devoir d’hospitalité » apparemment consensuel à un droit à l’hospitalité, qui réintroduit les migrants eux-mêmes dans la réflexion, et en fait une question plus directement politique. À quelle échelle l'hospitalité – locale, nationale, mondiale - peut-elle acquérir la force d'un droit et devenir l’élément d’une nécessaire transformation de la citoyenneté ?

Une collation sera offerte à 20h.
Michel Agier

Michel Agier est anthropologue, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Il étudie les relations entre la mondialisation, les migrations et la formation des villes. Il coordonne le programme « Babels – La ville comme frontière » soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche (2016-2019). Il a notamment publié Gérer les indésirables (Flammarion, 2008) et La Condition cosmopolite (La Découverte, 2013). Il publie prochainement L’étranger qui vient. Repenser l’hospitalité, Seuil (sortie octobre 2018).

 

Entretien avec Michel Agier, anthropologue

 
 

Mucem

Vous qui travaillez sur la question des réfugiés depuis de nombreuses années, quel regard portez-vous sur la « crise des migrants » qui survient actuellement en Europe et en Méditerranée ?

Michel Agier

Ce qui me semble nouveau, ces dernières années, ce n’est pas tellement la circulation des migrants, même s’il y a eu le pic de 2015 en Europe notamment à cause du conflit syrien, mais plutôt l’importance de la polémique que cela suscite durablement, ainsi que la mobilisation de très nombreuses personnes, davantage hospitalières qu’hostiles. Cela peut paraître étonnant. Mais si l’on observe en détail les sociétés européennes – comme avec le programme « Babels » que je coordonne – on voit qu’il y a au moins autant de gens accueillants que de gens hostiles ; et ce sont d’ailleurs les accueillants qui se mobilisent le plus, même si les hostiles sont davantage relayés par les hommes politiques. Sur le terrain, ce que l’on voit, ce sont des collectifs et des associations qui se sont créés par centaines, des gens qui s’occupent de trouver trouver nourriture et logement ; c’est en somme un « retour » de l’hospitalité, une pratique très ancienne mais qui semble être réinventée ou redécouverte aujourd’hui.

M.

À quoi touche la question migratoire ?

M.A.

Elle devient plus problématique alors qu’il y a moins d’arrivées de migrants. En 2018, comme en 2017, on est revenu aux chiffres des années 1990-2000, qui n’ont rien d’extraordinaire. Mais le fait migratoire touche au cœur de notre représentation de la société, de son ouverture ou sa fermeture, de nos responsabilités à l’échelle de la planète, à propos des migrations comme, par exemple, du climat. Nos gouvernants ont fait preuve d’hostilité et d’incompétence sur la question des flux migratoires. Cela va des accords avec la Turquie ou la Libye –aux conséquences dramatiques pour les migrants – jusqu’à la remise en cause, de fait, de la convention de Genève relative au droit d’asile de 1951 : face à un phénomène finalement assez prévisible, les États ont paniqué et les droits de l’homme ont reculé.

M.

Dans votre dernier ouvrage, L’Étranger qui vient. Repenser l’hospitalité, vous évoquez le nécessaire passage d’un « devoir d’hospitalité » à un « droit à l’hospitalité »…

M.A.

La première chose à rappeler est que l’hospitalité est un thème très ancien en anthropologie. C’est un fait complexe. Ceux qui l’ont récemment mise en pratique se sont trouvés confrontés à des situations auxquelles ils n’étaient pas préparés : un certain malaise avec des hôtes qu’ils ne connaissent pas, l’impossibilité de garder des gens chez eux très longtemps… Qui dois-je accueillir ? Pourquoi ? Où se situe mon libre arbitre par rapport à la morale et à la politique ? À travers ces questions, j’examine les contradictions et les ambiguïtés de cette pratique. L’hospitalité est aujourd’hui une initiative volontariste et individuelle, et non plus un mécanisme collectif parce qu’essentiel au fonctionnement des sociétés.
Il est important aussi de souligner que malgré les bons sentiments, l’hospitalité reste une faveur : le jour où je n’ai plus envie, ou plus le temps, ou plus de disponibilité, je n’accueille plus personne. L’étranger, finalement, n’a donc aucune garantie.
Tout cela change quand on passe au registre de la politique et du droit. C’est seulement là que peut naître un droit « cosmopolitique », qui garantit à tout étranger qu’il ne sera pas considéré comme un ennemi. Ainsi, l’hospitalité n’est plus « gentillette », philanthropique, humanitaire, mais bien du côté de la raison contre le chaos qui existe dans le monde.
Je crois que les États seront les derniers à agir sur ce point. C’est ce qu’a montré la période récente. Il faut donc des mouvements dans la société civile, aux niveaux aussi bien microlocal que global, pour imposer ce principe d’hospitalité comme un droit universel qui s’imposera ensuite à l’échelon national.

Tarifs

Entrée libre

Lieu Mucem, J4— Auditorium
Horaires

Mercredi 26 septembre à 18h30

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