Laure Prouvost

Au fort, les âmes sont

Affiche Laure Prouvost
Laure Prouvost - Au fort, les âmes sont, 31 Mars 2025, Mucem fort Saint-Jean © Julie Cohen, Mucem
Laure Prouvost - Au fort, les âmes sont, 31 Mars 2025, Mucem fort Saint-Jean © Julie Cohen, Mucem
4- Laure Prouvost, sculpture-girouette Icare, Us, Elle, 2025 © Mucem
4- Laure Prouvost, sculpture-girouette Icare, Us, Elle, 2025 © Mucem
© Edwige Lamy ; Laure Prouvost, capture de la vidéo Sous les Flots les Âmes Sont, 2024. Installation vidéo. Production Mucem 2024-2025 © Adagp, Paris, 2025

Bande-Annonce de l'exposition "Laure Prouvost, Au fort les âmes sont"

Laure Prouvost, artiste vidéaste, déploie des installations poétiques où les images quittent les écrans pour venir à la rencontre des spectateurs à travers objets, sculptures et matières.

Son langage est onirique et peut évoquer les imaginaires surréalistes. Il suggère aussi tout en finesse les valeurs chères à l’artiste : la célébration du vivant et de ses transformations, la fluidité de tout ce qui nous lie, nous êtres humains, à nos égaux, à nos prédécesseurs, aux environnements que nous habitons, à la faune et à la flore.

Pour sa carte blanche au Mucem, l’artiste s’est inspirée de plusieurs objets découverts dans les réserves du musée, afin de leur insuffler une vie nouvelle, de les emporter dans un récit fait de magie et de métamorphoses, au coeur d’une célébration sensorialiste de la vie et des histoires qui la trament. Pour cela, l’artiste a poursuivi son exploration du travail du verre et de la prise de vue sous-marine, créant une vidéo inédite avec des acteurs apnéistes, dans les calanques de Marseille.

Entretiens

  • Avec l’artiste vidéaste Laure Prouvost

    L’artiste vidéaste Laure Prouvost et Hélia Paukner conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain au Mucem, commissaire de l’exposition © Julie Cohen, Mucem
    L’artiste vidéaste Laure Prouvost et Hélia Paukner conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain au Mucem, commissaire de l’exposition © Julie Cohen, Mucem

    Travailler dans un monument historique comme le fort Saint-Jean, c’est particulièrement inspirant?

    Laure Prouvost :  Ce fut vraiment impressionnant d’imaginer nouer un dialogue avec un lieu chargé d’histoire.
    Il est vraiment «fort» ce fort! Il est fort dans tous les sens, que ce soit au niveau émotionnel, la beauté de la pierre et de l’eau qui se touchent, ce regard vers la Méditerranée, vers le nord de l’Afrique, cela crée tellement de sensations et de dialogues avec le monde… J’ai aussi pensé à cette tour où l’on a enfermé des prisonniers, la tour du Fanal. J’ai passé du temps à toucher les pierres. J’aime ce rapport entre la pierre et l’eau, cette liquidité qui devient dure, qui devient pierre, alors que cette pierre elle-même vient de l’eau, comme tout ce qu’il y a sur notre planète.

    Que raconte l’exposition « Laure Prouvost. Au fort, les âmes sont»?

    L.P. À partir de l’eau et de la pierre, j’ai souhaité raconter un conte inspiré du mythe d’Icare, qui s’appelle ici Icare-Us-Elle, car l’humanité est féminine. Le point de départ, c’est nous, notre mode de vie contemporain, notre rapport à la consommation: nous allons trop vite, trop loin, au-delà de nos limites. Nous volons vraiment trop près du soleil et on se brûle les ailes, on tombe et on se dissout dans la mer. Voilà le sujet de l’exposition: la matière qui se décompose dans l’eau et qui redevient sable, pierre, animal. L’exposition évoque la transformation d’Icare-Us-Elle qui devient « autre», anémone, anémone-humaine, poisson, humain. C’est l’idée d’un monde hybride où l’on est en harmonie avec la nature.
    Pouvons-nous devenir plante pour avoir une sorte d’empathie avec le reste du monde?

    En quoi ce projet et votre démarche sont-ils expérimentaux?

    L.P. J’ai été formée à la vidéo expérimentale, et je reste très attentive à la dimension sensorielle de mes œuvres. Quand je commence à imaginer une nouvelle pièce, j’en ai une intuition
    très précise, mais en même temps, sa forme finale n’est pas arrêtée du tout. Le contexte de chaque exposition est déterminant: le lieu, les personnes, et même les sensations que j’y ai éprouvées. Et après, il y a le processus de création lui-même, avec ses imprévus. Quand on souffle du verre, quand on filme sous l’eau ou qu’on rassemble les talents d’une multitude de collaborateurs et collaboratrices pour la création d’une installation, on ne peut pas tout contrôler. Mais la part d’aléatoire, les petits accidents qui en résultent contribuent à l’œuvre. Je n’aime pas que mes pièces soient lisses. Leurs petites imperfections accrochent le regard et les rend plus familières au public.

    À travers l’une de vos installations, vous faites venir les calanques au Mucem… Quel rapport avez-vous tissé avec Marseille?

    L.P. Pour le film Sous les Flots les Âmes Sont, nous avons filmé autour de l’archipel du Frioul et des calanques toutes proches. Marseille et ses calanques m’ont toujours énormément attirée: j’étais déjà venue filmer les calanques de Marseille pour la Biennale de Venise, en 2019… Cette fois-ci, nous avons travaillé avec des plongeurs apnéistes car ce sont des gens qui savent dépasser leurs limites, décupler leurs sens, leur respiration, ils se rapprochent du poisson. Ce fut magique de faire ce voyage et d’explorer les calanques avec eux. Sous l’eau, les poissons venaient nous parler. C’était très beau, tous ces animaux sous-marins, cette vie et cette nature omniprésente, et l’eau qui nous entoure, sont propices à l’émerveillement et aux mirages. Magie et mirages jouent un rôle important dans cette œuvre: est-ce que tout est vraiment visible? Est-ce bien un poulpe que j’aperçois? Et là, une méduse? On y découvre aussi une anémone-magicienne qui transforme des objets.

    Les objets du quotidien apparaissent souvent dans votre travail?

    L.P. J’aime les objets pour leurs formes et leurs matières infinies. J’aime aussi toutes les mémoires qu’ils peuvent véhiculer. Le plus humble d’entre eux, du sachet de thé au mégot de cigarette, peut être un trésor, s’il est considéré. C’est là où les réserves du Mucem m’ont interpelée: les collections du musée contiennent des objets choisis non pour leur prestige ou leur préciosité, mais pour leur richesse mémorielle, anthropologique. Pour ce qu’ils disent de l’humain. Cela m’a donné envie de les mettre à l’honneur dans l’installation Mire le Mirage, dans la chapelle du fort Saint-Jean. J’y ai disposé des objets du quotidien, passés ou présents, que j’avais collectés. J’ai joué avec, j’en ai fait faire des répliques en verre, et je leur ai fait prendre vie grâce au son et à la lumière… leur vie se prolonge d’ailleurs dans la vidéo Sous les Flots les Âmes Sont, pour laquelle certains ont servi d’accessoires.

  • Entretien avec Hélia Paukner conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain au Mucem, commissaire de l’exposition

    Pourquoi cette carte blanche à Laure Prouvost fait-elle particulièrement sens à vos yeux?

    Hélia Paukner : D’abord, Laure Prouvost est très attachée à Marseille. Les calanques et les Marseillais apparaissent dans ses vidéos dès 2019, elle s’est produite au Festival International de Cinéma de Marseille en 2023, et c’est elle qui a conçu la voile du bateau du festival Art Explora, en escale au Vieux-Port en 2024. Son travail est une invitation à célébrer notre environnement naturel, à ouvrir des yeux émerveillés sur les miroitements de la mer, à puiser dans les éléments qui nous entourent une énergie heureuse. Mais Laure Prouvost est aussi une artiste que toute institution rêve d’accueillir: pour la qualité de son travail séduisant, exigeant et inouï, pour son aura internationale, mais aussi parce que travailler à ses côtés est une aventure intellectuelle, artistique et humaine. Les liens qu’elle crée avec ses collaborateurs et avec ses publics sont d’une grande générosité. Même si l’on n’a pas l’habitude des lieux d’art contemporain, on peut se laisser envelopper et surprendre par ses installations. Pour cette première exposition accessible gratuitement à toutes et à tous au fort Saint-Jean, inviter une artiste dans cet état d’esprit était une évidence. Par ailleurs, Laure Prouvost travaille volontiers à partir d’objets du quotidien, proches de ceux que le Mucem conserve dans ses collections. En l’occurrence, elle s’est librement inspirée de ses visites dans les réserves du musée. Broder autour d’objets de peu une fiction allusive et poétique, c’est les libérer de tout discours théorique et renouveler notre regard sur eux.

    Quel rôle tient la poésie dans le travail de Laure Prouvost et dans ce projet?

    H.P. Elle y est omniprésente. Laure Prouvost manipule dans un même geste des images, des matières, des sons et des mots. L’idée de fluidité, chère à Laure Prouvost, se retrouve dans son rapport au langage: passages d’une langue à une autre, glissements de sens et jeux de mots animent son travail. On pourrait d’ailleurs avancer que ses installations tout entières sont des méta-phores : elles nous hameçonnent et nous transportent ailleurs.
    Pour répondre au goût de Laure Prouvost pour les collaborations et la poésie, j’ai ainsi choisi d’accompagner chacune des installations d’un texte de présentation et d’un texte poétique que j’ai écrits spécifiquement.

    À travers ce projet, ce sont des lieux d’habitude jamais ouverts au public qui vont se voir réenchantés?

    H.P. Avec cette exposition, l’artiste propose un conte onirique à travers quatre installations que l’on découvre en déambulant dans le fort Saint-Jean. C’est aussi l’occasion de redécouvrir la richesse architecturale de ce monument. La tour du Roi René, construite au XVe siècle à la demande du roi René d’Anjou, devient le socle d’une sculpture monumentale, visible depuis le Vieux-Port. Silhouette et girouette, cette Icare féminine fait signe aux promeneurs et les invite à plonger dans le récit poétique de l’artiste. La même Icare-Us-Elle réapparaît dans la salle d’exposition sur la place du Dépôt, datant du réaménagement du fort et de ses casernes par Vauban, à partir de 1679. Icare-Us-Elle est en effet la protagoniste de la vidéo inédite que Laure Prouvost a tourné sous l’eau dans les environs de Marseille pour l’exposition. Les accessoires de la vidéo, objets du quotidien auxquels l’artiste insuffle vie et voix, sont remployés dans l’installation Mire le Mirage, présentée dans la chapelle de la cour de la Commande, dans la partie basse du fort. Énormément modifiée depuis le XIVe siècle et endommagée notamment par l’explosion de 1944, la chapelle Saint-Jean devient ainsi théâtre des merveilles. Enfin, à droite de la montée des canons, la casemate accueille une dernière installation de Laure Prouvost, dans l’ombre presque souterraine de sa voûte fortifiée.

Ses oeuvres – créées spécifiquement pour l’exposition, dont une au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva)  – seront montrées dans des lieux d’habitude inaccessibles au fort Saint-Jean. Les publics seront donc invités à une déambulation aux multiples surprises patrimoniales et artistiques, jusque dans les murailles du fort. Visible depuis le Vieux Port, une sculpture-girouette installée au sommet de la tour du roi René signalera l’exposition. De la chapelle à la casemate, près de la montée des canons, en passant par la salle d’exposition qui domine le fort Saint‑Jean, les visiteurs et visiteuses découvriront trois autres installations monumentales et spectaculaires, où des objets du quotidien parfois évocateurs de la Méditerranée, de sa faune et de sa flore apparaîtront, disparaîtront ou se métamorphoseront au gré des tours de magie visuelle et poétique imaginés par l’artiste.

Commissaire Hélia Paukner, conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain, Mucem
Avec la collaboration et des prêts du Studio Laure Prouvost, Bruxelles
  • Laure Prouvost

    Laure Prouvost est née en 1978 à Croix-Lille (59) et s’est formée au Central Saint Martins et au Goldsmiths College de Londres. Elle vit et travaille aujourd’hui entre la France, la Belgique et la Grande Bretagne. Ces dernières années, elle s’est affirmée comme l’une des artistes les plus reconnues de la scène contemporaine internationale. Ainsi, c’est elle qui, en 2019, a représenté la France lors de la 58e édition de la Biennale d’art contemporain de Venise. Ses oeuvres sont montrées et conservées dans les plus prestigieux musées du monde.

  • Cirva

    Le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva) est un centre d’art qui place la création au cœur de son projet. Occupant une position singulière sur la scène mondiale depuis 1983, il invite des artistes et des designers à travailler une matière précise, le verre, avec une totale liberté. Il·elle·s sont accueilli·e·s dans l’atelier du Cirva aux côtés d’une équipe de technicien·ne·s verrier·ère·s de très haut niveau avec laquelle débute un dialogue. Cet échange se développe dans le temps, à travers des séjours répétés.
    Cet outil offre l’opportunité de mener des expérimentations audacieuses où les chemins sans limite de la pensée rencontrent une matière réputée complexe et imprévisible.

    Le Cirva conserve une collection de plus de mille pièces qui témoigne des expériences menées avec les artistes invité·e·s qui font don de certaines pièces à l’association à la fin de leur collaboration. Le Cirva
    s’attache à faire vivre la collection et à la faire découvrir au plus grand nombre par des partenariats et des prêts à l’occasion d’expositions et évènements hors les murs. Cette diffusion s’accompagne de moments de découvertes privilégiés au sein de l’atelier, qui se visite lors de journées portes ouvertes.

    Le Cirva est une association à but non lucratif, reconnue d’intérêt général, qui est accompagnée depuis sa création par le ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte
    d’Azur, par la Ville de Marseille, par le conseil régional Sud Paca et par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône.

Laure Prouvost, artiste vidéaste, déploie des installations poétiques où les images quittent les écrans pour venir à la rencontre des spectateurs à travers objets, sculptures et matières.

Laure Prouvost - Au fort, les âmes sont, 31 Mars 2025, Mucem fort Saint-Jean © Julie Cohen, Mucem
Laure Prouvost - Au fort, les âmes sont, 31 Mars 2025, Mucem fort Saint-Jean © Julie Cohen, Mucem

Son langage est onirique et peut évoquer les imaginaires surréalistes. Il suggère aussi tout en finesse les valeurs chères à l’artiste : la célébration du vivant et de ses transformations, la fluidité de tout ce qui nous lie, nous êtres humains, à nos égaux, à nos prédécesseurs, aux environnements que nous habitons, à la faune et à la flore.

Pour sa carte blanche au Mucem, l’artiste s’est inspirée de plusieurs objets découverts dans les réserves du musée, afin de leur insuffler une vie nouvelle, de les emporter dans un récit fait de magie et de métamorphoses, au coeur d’une célébration sensorialiste de la vie et des histoires qui la trament. Pour cela, l’artiste a poursuivi son exploration du travail du verre et de la prise de vue sous-marine, créant une vidéo inédite avec des acteurs apnéistes, dans les calanques de Marseille.

4- Laure Prouvost, sculpture-girouette Icare, Us, Elle, 2025 © Mucem
4- Laure Prouvost, sculpture-girouette Icare, Us, Elle, 2025 © Mucem

Entretiens

  • Avec l’artiste vidéaste Laure Prouvost

    L’artiste vidéaste Laure Prouvost et Hélia Paukner conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain au Mucem, commissaire de l’exposition © Julie Cohen, Mucem
    L’artiste vidéaste Laure Prouvost et Hélia Paukner conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain au Mucem, commissaire de l’exposition © Julie Cohen, Mucem

    Travailler dans un monument historique comme le fort Saint-Jean, c’est particulièrement inspirant?

    Laure Prouvost :  Ce fut vraiment impressionnant d’imaginer nouer un dialogue avec un lieu chargé d’histoire.
    Il est vraiment «fort» ce fort! Il est fort dans tous les sens, que ce soit au niveau émotionnel, la beauté de la pierre et de l’eau qui se touchent, ce regard vers la Méditerranée, vers le nord de l’Afrique, cela crée tellement de sensations et de dialogues avec le monde… J’ai aussi pensé à cette tour où l’on a enfermé des prisonniers, la tour du Fanal. J’ai passé du temps à toucher les pierres. J’aime ce rapport entre la pierre et l’eau, cette liquidité qui devient dure, qui devient pierre, alors que cette pierre elle-même vient de l’eau, comme tout ce qu’il y a sur notre planète.

    Que raconte l’exposition « Laure Prouvost. Au fort, les âmes sont»?

    L.P. À partir de l’eau et de la pierre, j’ai souhaité raconter un conte inspiré du mythe d’Icare, qui s’appelle ici Icare-Us-Elle, car l’humanité est féminine. Le point de départ, c’est nous, notre mode de vie contemporain, notre rapport à la consommation: nous allons trop vite, trop loin, au-delà de nos limites. Nous volons vraiment trop près du soleil et on se brûle les ailes, on tombe et on se dissout dans la mer. Voilà le sujet de l’exposition: la matière qui se décompose dans l’eau et qui redevient sable, pierre, animal. L’exposition évoque la transformation d’Icare-Us-Elle qui devient « autre», anémone, anémone-humaine, poisson, humain. C’est l’idée d’un monde hybride où l’on est en harmonie avec la nature.
    Pouvons-nous devenir plante pour avoir une sorte d’empathie avec le reste du monde?

    En quoi ce projet et votre démarche sont-ils expérimentaux?

    L.P. J’ai été formée à la vidéo expérimentale, et je reste très attentive à la dimension sensorielle de mes œuvres. Quand je commence à imaginer une nouvelle pièce, j’en ai une intuition
    très précise, mais en même temps, sa forme finale n’est pas arrêtée du tout. Le contexte de chaque exposition est déterminant: le lieu, les personnes, et même les sensations que j’y ai éprouvées. Et après, il y a le processus de création lui-même, avec ses imprévus. Quand on souffle du verre, quand on filme sous l’eau ou qu’on rassemble les talents d’une multitude de collaborateurs et collaboratrices pour la création d’une installation, on ne peut pas tout contrôler. Mais la part d’aléatoire, les petits accidents qui en résultent contribuent à l’œuvre. Je n’aime pas que mes pièces soient lisses. Leurs petites imperfections accrochent le regard et les rend plus familières au public.

    À travers l’une de vos installations, vous faites venir les calanques au Mucem… Quel rapport avez-vous tissé avec Marseille?

    L.P. Pour le film Sous les Flots les Âmes Sont, nous avons filmé autour de l’archipel du Frioul et des calanques toutes proches. Marseille et ses calanques m’ont toujours énormément attirée: j’étais déjà venue filmer les calanques de Marseille pour la Biennale de Venise, en 2019… Cette fois-ci, nous avons travaillé avec des plongeurs apnéistes car ce sont des gens qui savent dépasser leurs limites, décupler leurs sens, leur respiration, ils se rapprochent du poisson. Ce fut magique de faire ce voyage et d’explorer les calanques avec eux. Sous l’eau, les poissons venaient nous parler. C’était très beau, tous ces animaux sous-marins, cette vie et cette nature omniprésente, et l’eau qui nous entoure, sont propices à l’émerveillement et aux mirages. Magie et mirages jouent un rôle important dans cette œuvre: est-ce que tout est vraiment visible? Est-ce bien un poulpe que j’aperçois? Et là, une méduse? On y découvre aussi une anémone-magicienne qui transforme des objets.

    Les objets du quotidien apparaissent souvent dans votre travail?

    L.P. J’aime les objets pour leurs formes et leurs matières infinies. J’aime aussi toutes les mémoires qu’ils peuvent véhiculer. Le plus humble d’entre eux, du sachet de thé au mégot de cigarette, peut être un trésor, s’il est considéré. C’est là où les réserves du Mucem m’ont interpelée: les collections du musée contiennent des objets choisis non pour leur prestige ou leur préciosité, mais pour leur richesse mémorielle, anthropologique. Pour ce qu’ils disent de l’humain. Cela m’a donné envie de les mettre à l’honneur dans l’installation Mire le Mirage, dans la chapelle du fort Saint-Jean. J’y ai disposé des objets du quotidien, passés ou présents, que j’avais collectés. J’ai joué avec, j’en ai fait faire des répliques en verre, et je leur ai fait prendre vie grâce au son et à la lumière… leur vie se prolonge d’ailleurs dans la vidéo Sous les Flots les Âmes Sont, pour laquelle certains ont servi d’accessoires.

  • Entretien avec Hélia Paukner conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain au Mucem, commissaire de l’exposition

    Pourquoi cette carte blanche à Laure Prouvost fait-elle particulièrement sens à vos yeux?

    Hélia Paukner : D’abord, Laure Prouvost est très attachée à Marseille. Les calanques et les Marseillais apparaissent dans ses vidéos dès 2019, elle s’est produite au Festival International de Cinéma de Marseille en 2023, et c’est elle qui a conçu la voile du bateau du festival Art Explora, en escale au Vieux-Port en 2024. Son travail est une invitation à célébrer notre environnement naturel, à ouvrir des yeux émerveillés sur les miroitements de la mer, à puiser dans les éléments qui nous entourent une énergie heureuse. Mais Laure Prouvost est aussi une artiste que toute institution rêve d’accueillir: pour la qualité de son travail séduisant, exigeant et inouï, pour son aura internationale, mais aussi parce que travailler à ses côtés est une aventure intellectuelle, artistique et humaine. Les liens qu’elle crée avec ses collaborateurs et avec ses publics sont d’une grande générosité. Même si l’on n’a pas l’habitude des lieux d’art contemporain, on peut se laisser envelopper et surprendre par ses installations. Pour cette première exposition accessible gratuitement à toutes et à tous au fort Saint-Jean, inviter une artiste dans cet état d’esprit était une évidence. Par ailleurs, Laure Prouvost travaille volontiers à partir d’objets du quotidien, proches de ceux que le Mucem conserve dans ses collections. En l’occurrence, elle s’est librement inspirée de ses visites dans les réserves du musée. Broder autour d’objets de peu une fiction allusive et poétique, c’est les libérer de tout discours théorique et renouveler notre regard sur eux.

    Quel rôle tient la poésie dans le travail de Laure Prouvost et dans ce projet?

    H.P. Elle y est omniprésente. Laure Prouvost manipule dans un même geste des images, des matières, des sons et des mots. L’idée de fluidité, chère à Laure Prouvost, se retrouve dans son rapport au langage: passages d’une langue à une autre, glissements de sens et jeux de mots animent son travail. On pourrait d’ailleurs avancer que ses installations tout entières sont des méta-phores : elles nous hameçonnent et nous transportent ailleurs.
    Pour répondre au goût de Laure Prouvost pour les collaborations et la poésie, j’ai ainsi choisi d’accompagner chacune des installations d’un texte de présentation et d’un texte poétique que j’ai écrits spécifiquement.

    À travers ce projet, ce sont des lieux d’habitude jamais ouverts au public qui vont se voir réenchantés?

    H.P. Avec cette exposition, l’artiste propose un conte onirique à travers quatre installations que l’on découvre en déambulant dans le fort Saint-Jean. C’est aussi l’occasion de redécouvrir la richesse architecturale de ce monument. La tour du Roi René, construite au XVe siècle à la demande du roi René d’Anjou, devient le socle d’une sculpture monumentale, visible depuis le Vieux-Port. Silhouette et girouette, cette Icare féminine fait signe aux promeneurs et les invite à plonger dans le récit poétique de l’artiste. La même Icare-Us-Elle réapparaît dans la salle d’exposition sur la place du Dépôt, datant du réaménagement du fort et de ses casernes par Vauban, à partir de 1679. Icare-Us-Elle est en effet la protagoniste de la vidéo inédite que Laure Prouvost a tourné sous l’eau dans les environs de Marseille pour l’exposition. Les accessoires de la vidéo, objets du quotidien auxquels l’artiste insuffle vie et voix, sont remployés dans l’installation Mire le Mirage, présentée dans la chapelle de la cour de la Commande, dans la partie basse du fort. Énormément modifiée depuis le XIVe siècle et endommagée notamment par l’explosion de 1944, la chapelle Saint-Jean devient ainsi théâtre des merveilles. Enfin, à droite de la montée des canons, la casemate accueille une dernière installation de Laure Prouvost, dans l’ombre presque souterraine de sa voûte fortifiée.

© Edwige Lamy ; Laure Prouvost, capture de la vidéo Sous les Flots les Âmes Sont, 2024. Installation vidéo. Production Mucem 2024-2025 © Adagp, Paris, 2025

Bande-Annonce de l'exposition "Laure Prouvost, Au fort les âmes sont"

Ses oeuvres – créées spécifiquement pour l’exposition, dont une au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva)  – seront montrées dans des lieux d’habitude inaccessibles au fort Saint-Jean. Les publics seront donc invités à une déambulation aux multiples surprises patrimoniales et artistiques, jusque dans les murailles du fort. Visible depuis le Vieux Port, une sculpture-girouette installée au sommet de la tour du roi René signalera l’exposition. De la chapelle à la casemate, près de la montée des canons, en passant par la salle d’exposition qui domine le fort Saint‑Jean, les visiteurs et visiteuses découvriront trois autres installations monumentales et spectaculaires, où des objets du quotidien parfois évocateurs de la Méditerranée, de sa faune et de sa flore apparaîtront, disparaîtront ou se métamorphoseront au gré des tours de magie visuelle et poétique imaginés par l’artiste.

Commissaire Hélia Paukner, conservatrice du patrimoine, responsable du pôle Art contemporain, Mucem
Avec la collaboration et des prêts du Studio Laure Prouvost, Bruxelles
  • Laure Prouvost

    Laure Prouvost est née en 1978 à Croix-Lille (59) et s’est formée au Central Saint Martins et au Goldsmiths College de Londres. Elle vit et travaille aujourd’hui entre la France, la Belgique et la Grande Bretagne. Ces dernières années, elle s’est affirmée comme l’une des artistes les plus reconnues de la scène contemporaine internationale. Ainsi, c’est elle qui, en 2019, a représenté la France lors de la 58e édition de la Biennale d’art contemporain de Venise. Ses oeuvres sont montrées et conservées dans les plus prestigieux musées du monde.

  • Cirva

    Le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva) est un centre d’art qui place la création au cœur de son projet. Occupant une position singulière sur la scène mondiale depuis 1983, il invite des artistes et des designers à travailler une matière précise, le verre, avec une totale liberté. Il·elle·s sont accueilli·e·s dans l’atelier du Cirva aux côtés d’une équipe de technicien·ne·s verrier·ère·s de très haut niveau avec laquelle débute un dialogue. Cet échange se développe dans le temps, à travers des séjours répétés.
    Cet outil offre l’opportunité de mener des expérimentations audacieuses où les chemins sans limite de la pensée rencontrent une matière réputée complexe et imprévisible.

    Le Cirva conserve une collection de plus de mille pièces qui témoigne des expériences menées avec les artistes invité·e·s qui font don de certaines pièces à l’association à la fin de leur collaboration. Le Cirva
    s’attache à faire vivre la collection et à la faire découvrir au plus grand nombre par des partenariats et des prêts à l’occasion d’expositions et évènements hors les murs. Cette diffusion s’accompagne de moments de découvertes privilégiés au sein de l’atelier, qui se visite lors de journées portes ouvertes.

    Le Cirva est une association à but non lucratif, reconnue d’intérêt général, qui est accompagnée depuis sa création par le ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-Côte
    d’Azur, par la Ville de Marseille, par le conseil régional Sud Paca et par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône.

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