La Fabrique des illusions
Collection Fouad Debbas et commentaires contemporains






La photographie et son histoire n’ont jamais été interrogées que d’un point de vue dénaturé par la peinture ou, plus largement, par les arts graphiques.
« La Fabrique des illusions » propose de penser autrement les origines de ce médium, notamment dans ses relations avec le théâtre et les arts de la scène.
La photographie « orientaliste » peut être le lieu particulier de cette nécessaire remise à plat ; cette dernière ayant toujours fonctionné sur le mode de la simulation.
Au XIXe siècle, photographie et théâtre installent de nouveaux modes de représentation. C’est l’époque où s’invente le « spectacle oculaire », un complexe scénographique à effets spéciaux, conglomérat d’images nouvelles.
La mise en perspective du photographique dans l’ensemble des spectacles visuels au XIXe siècle, le théâtre en particulier, relève de codes communs et de références comprises par tous. Ce que l’on recherche avant tout c’est l’illusion de la vie, incarnée au mieux par la scène et ses effets. La photographie est un espace théâtral.
« La Fabrique des illusions » confronte les photographies « orientalistes » de la collection Fouad Debbas à des œuvres de dix artistes contemporains internationaux : Mac Adams, Nadim Asfar, Vartan Avakian, Elina Brotherus, Daniele Genadry, Randa Mirza, Louis Quail, Angélique Stehli, Wiktoria Wojciechowska, et Ali Zanjani.
L’exposition présente un ensemble de près de 300 pièces.
Depuis les années 1970, la photographie contemporaine offre une alternative à l’illusion. Elle sait en jouer pour mieux en démonter ses ruses. L’enjeu de cette exposition réside ainsi dans la confrontation entre beauté trompeuse et mentir-vrai.
De fait, « La Fabrique des illusions » esquisse le tableau d’une autre histoire de la photographie, contradictoire et, somme toute, illégitime.
—Commissariat : François Cheval, commissaire d’expositions, co-fondateur et co-directeur du Lianzhou Museum for Photography en Chine, co-fondateur de la structure « The Red Eye » en charge de la direction artistique du festival « Circulation(s)».
Yasmine Chemali, responsable des collections d’art moderne et contemporain du Musée Sursock de Beyrouth, en charge de la collection Fouad Debbas.
—Scénographie : Jacques Aboukhaled
Entretien avec Yasmine Chemali et François Cheval, commissaires de l’exposition
Mucem (M.)
Cette exposition propose une nouvelle façon d’aborder l’histoire de la photographie, notamment par la mise en évidence de ses liens avec le théâtre au XIXe siècle…
Yasmine Chemali et François Cheval (Y.C and F.C.)
C’est une erreur de considérer l’histoire de la photographie comme définitivement écrite. Pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’invention datant des années 1816-1822, nous sommes encore loin de mesurer les effets d’un médium aussi complexe qui n’a que deux siècles et qui s’est imposé universellement.
Deuxièmement, pour des raisons que l’on ne peut expliquer ici, l’histoire officielle fut écrite par des institutions et des marchands, essentiellement, anglo-saxons. Tous partageaient l’idée d’une photographie « fille légitime » de la peinture. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une opération de révision de la nature du médium ; transformer un multiple en bien rare, unique.
En mettant en lien photographie et théâtre, nous proposons une autre entrée pour comprendre, non pas simplement l’histoire de la photographie, mais la mise en place de la « société du spectacle ». Un monde vu comme un espace scénique perspectif, un lieu de représentation de l’absent, une croyance en la totalité…
M.
Pourquoi avoir choisi de confronter les photographies orientalistes de la collection Fouad Debbas à des œuvres contemporaines ?
Y.C et F.C.
Le fonds Fouad Debbas peut à lui seul fournir les éléments d’une réflexion sur l’objet photographique. Cependant, nous avons voulu grâce aux propositions contemporaines démontrer que le questionnement sur le médium est plus que jamais d’actualité. Une des qualités de la photographie contemporaine est justement d’interroger le support et d’en déterminer les limites, de le positionner dans l’univers déterminant des représentations modernes.
Les artistes contemporains explicitent mieux que les légendes la démonstration des « commissaires ».M.
Quelles sont les pièces de la collection Fouad Debbas qui ont particulièrement retenu votre attention, et de quelle façon avez-vous choisi leur « binôme » contemporain ?
Y.C et F.C.
Aucune pièce n’a été sélectionnée pour son caractère « remarquable ». Un des propos de l’ex-
position est de remettre en cause les notions d’« icône » et de « vintage ».
La photographie du XIXe siècle, par son esthétique, le choix de ses sujets, etc., a pu asseoir sa réputation sur des critères de « beauté » qui l’autorisent à masquer ses significations réelles, idéologiques. Le fonds Fouad Debbas s’analyse en termes de séries significatives. Les « beaux » ensembles d’auteurs sont traités à l’identique des « chromos » considérés comme vulgaires par l’histoire de la photographie.
Ce qu’il est important de comprendre à travers les 30 000 images collectées par Fouad Debbas, c’est l’idée de sérialité. La captation répétible – offerte par l’image mécanique – va de pair avec la reproductibilité du médium – la logique du tirage. C’est une logique commerciale. En lien direct avec les catalogues des vues proposées par la Maison Bonfils par exemple, le client collecte alors une série d’images, un réel, qu’il croit s’approprier. Les tirages albuminés, leurs agrandissements, puis leurs dérivés sous forme de cartes postales ou de vues stéréoscopiques, sont autant de pratiques qui rapprochent la photographie du XIXe siècle aux contemporains. Pour nous, il n’y a pas de binômes, seulement des confrontations, des sujets de discussions entre, par exemple, une Elina Brotherus et la figure du cabotin qu’est Adrien Bonfils.
La photographie et son histoire n’ont jamais été interrogées que d’un point de vue dénaturé par la peinture ou, plus largement, par les arts graphiques.
« La Fabrique des illusions » propose de penser autrement les origines de ce médium, notamment dans ses relations avec le théâtre et les arts de la scène.
La photographie « orientaliste » peut être le lieu particulier de cette nécessaire remise à plat ; cette dernière ayant toujours fonctionné sur le mode de la simulation.
Au XIXe siècle, photographie et théâtre installent de nouveaux modes de représentation. C’est l’époque où s’invente le « spectacle oculaire », un complexe scénographique à effets spéciaux, conglomérat d’images nouvelles.
La mise en perspective du photographique dans l’ensemble des spectacles visuels au XIXe siècle, le théâtre en particulier, relève de codes communs et de références comprises par tous. Ce que l’on recherche avant tout c’est l’illusion de la vie, incarnée au mieux par la scène et ses effets. La photographie est un espace théâtral.
« La Fabrique des illusions » confronte les photographies « orientalistes » de la collection Fouad Debbas à des œuvres de dix artistes contemporains internationaux : Mac Adams, Nadim Asfar, Vartan Avakian, Elina Brotherus, Daniele Genadry, Randa Mirza, Louis Quail, Angélique Stehli, Wiktoria Wojciechowska, et Ali Zanjani.
L’exposition présente un ensemble de près de 300 pièces.
Depuis les années 1970, la photographie contemporaine offre une alternative à l’illusion. Elle sait en jouer pour mieux en démonter ses ruses. L’enjeu de cette exposition réside ainsi dans la confrontation entre beauté trompeuse et mentir-vrai.
De fait, « La Fabrique des illusions » esquisse le tableau d’une autre histoire de la photographie, contradictoire et, somme toute, illégitime.
—Commissariat : François Cheval, commissaire d’expositions, co-fondateur et co-directeur du Lianzhou Museum for Photography en Chine, co-fondateur de la structure « The Red Eye » en charge de la direction artistique du festival « Circulation(s)».
Yasmine Chemali, responsable des collections d’art moderne et contemporain du Musée Sursock de Beyrouth, en charge de la collection Fouad Debbas.
—Scénographie : Jacques Aboukhaled

Entretien avec Yasmine Chemali et François Cheval, commissaires de l’exposition
Mucem (M.)
Cette exposition propose une nouvelle façon d’aborder l’histoire de la photographie, notamment par la mise en évidence de ses liens avec le théâtre au XIXe siècle…
Yasmine Chemali et François Cheval (Y.C and F.C.)
C’est une erreur de considérer l’histoire de la photographie comme définitivement écrite. Pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’invention datant des années 1816-1822, nous sommes encore loin de mesurer les effets d’un médium aussi complexe qui n’a que deux siècles et qui s’est imposé universellement.
Deuxièmement, pour des raisons que l’on ne peut expliquer ici, l’histoire officielle fut écrite par des institutions et des marchands, essentiellement, anglo-saxons. Tous partageaient l’idée d’une photographie « fille légitime » de la peinture. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une opération de révision de la nature du médium ; transformer un multiple en bien rare, unique.
En mettant en lien photographie et théâtre, nous proposons une autre entrée pour comprendre, non pas simplement l’histoire de la photographie, mais la mise en place de la « société du spectacle ». Un monde vu comme un espace scénique perspectif, un lieu de représentation de l’absent, une croyance en la totalité…
M.
Pourquoi avoir choisi de confronter les photographies orientalistes de la collection Fouad Debbas à des œuvres contemporaines ?
Y.C et F.C.
Le fonds Fouad Debbas peut à lui seul fournir les éléments d’une réflexion sur l’objet photographique. Cependant, nous avons voulu grâce aux propositions contemporaines démontrer que le questionnement sur le médium est plus que jamais d’actualité. Une des qualités de la photographie contemporaine est justement d’interroger le support et d’en déterminer les limites, de le positionner dans l’univers déterminant des représentations modernes.
Les artistes contemporains explicitent mieux que les légendes la démonstration des « commissaires ».M.
Quelles sont les pièces de la collection Fouad Debbas qui ont particulièrement retenu votre attention, et de quelle façon avez-vous choisi leur « binôme » contemporain ?
Y.C et F.C.
Aucune pièce n’a été sélectionnée pour son caractère « remarquable ». Un des propos de l’ex-
position est de remettre en cause les notions d’« icône » et de « vintage ».
La photographie du XIXe siècle, par son esthétique, le choix de ses sujets, etc., a pu asseoir sa réputation sur des critères de « beauté » qui l’autorisent à masquer ses significations réelles, idéologiques. Le fonds Fouad Debbas s’analyse en termes de séries significatives. Les « beaux » ensembles d’auteurs sont traités à l’identique des « chromos » considérés comme vulgaires par l’histoire de la photographie.
Ce qu’il est important de comprendre à travers les 30 000 images collectées par Fouad Debbas, c’est l’idée de sérialité. La captation répétible – offerte par l’image mécanique – va de pair avec la reproductibilité du médium – la logique du tirage. C’est une logique commerciale. En lien direct avec les catalogues des vues proposées par la Maison Bonfils par exemple, le client collecte alors une série d’images, un réel, qu’il croit s’approprier. Les tirages albuminés, leurs agrandissements, puis leurs dérivés sous forme de cartes postales ou de vues stéréoscopiques, sont autant de pratiques qui rapprochent la photographie du XIXe siècle aux contemporains. Pour nous, il n’y a pas de binômes, seulement des confrontations, des sujets de discussions entre, par exemple, une Elina Brotherus et la figure du cabotin qu’est Adrien Bonfils.



