Livre - Nourritures d'enfance

C 4327

Description

Livre

Autrement

Danziger Claudie

Presentation materielle : 1 vol. (208 p.)

Dimensions : 25 cm

Banche et onctueuse purée, clafoutis bien-aimé, abjectes cervelles, épinards répugnants, terrifiantes blanquettes… Quelle langue d’avant les mots parlent nos nourritures d’enfance pour que, bien des années plus tard, saisis par le souvenir, nous retrouvions intacts en nous la précision de l’image, le vif des sentiments, le tumulte du cœur, toutes les saveurs ? De quels signes silencieux et secrets se parent les aliments de notre enfance pour que s’y trouvent associés dans notre mémoire la joie ou la souffrance, le goût ou le dégoût, la nostalgie ou le rejet ? Souvenirs heureux entraînant avec eux l’effluve du chocolat chaud, le doré d’un gâteau. Mémoire aussi de la première fracture : toute nourriture d’enfance porte en elle l’amertume d’une séparation, la trace d’un désenchantement. Le premier aliment est celui de l’absolu brisé. Des éclats rassemblés dépend la langue à venir. Mais c’est d’amour dont parlent les nourritures d’enfance, même si les voies empruntées pour le dire résonnent parfois sous les mots d’une étrange façon. Avec, entre autres, René Allio, Noëlle Châtelet, Andrée Chédid, Matty Chiva, Gérard Haddad, Aldo Naouri, Gisèle Prassinos, Agnès Rosenstiehl, Marie Rouanet, Bernard This… Cet ouvrage a été dirigé par Claudie Danziger.

DANZIGER Claudie, Éditorial, p. 11 1. CUISINE DES MÈRES, p. 15 « Il était une fois dans la ville de Foix une marchande de foie qui vendait du foie. Elle se dit, ma foi, c’est la première fois que je vends du foie dans la ville de Foix. » Déconcerté par les différentes significations du même mot, l’enfant ressent le même trouble face à l’analyse du langage et à l’ambiguïté des sentiments. Confusion de l’orthographe et confusion du cœur : la nourriture d’enfance peut être moment délicieux ou souffrance. ROSENSTIEHL Agnès, Menu, p. 16 Une faim inextinguible partie des narines jusqu’aux pieds. Tout au long de ce menu de tous les sens, huit festins à plat unique pour dire l’angoisse du ventre… autant que le paradis. PRASSINOS Gisèle, Le sein maternel, p. 23 « Un sein unique, large, très blanc, finement veiné de bleu, au tétin haut et bronzé. » Enfant, on s’y attelle, ensuite on en rêve… Tout nous y conduit : la faim, la fatigue, le chagrin. Saveurs du Midi, p. 28 ALLIO René Saveurs du Midi, p. 28 Nourritures à table et nourritures du dehors, goûters-surprises et plats collectifs, soupe au pistou et trempée chaude, vin sucré coupé d’eau et tilleul frais, souvenirs tendres et acidulés d’une enfance dans les années 30. ROUANET Marie, La cuisine : lieu des femmes, p. 33 Pièce centrale de la vie familiale, la cuisine est le lieu du savoir immémorial où officient les femmes. Là, tournant la confiture, tout en bavardant, elles réparent l’outrage du bouton qui manque et préparent les nourritures qui apaisent la faim et réjouissent le coeur. CÉSAIRE Ina, Maman Flore, p. 48 Reine incontestée du foyer, personnage central de la famille, la grand-mère antillaise est aussi la gardienne de l’art culinaire. Tout en contant des histoires, elle apprend aux fillettes la cuisine créole dont le secret s’appelle « macérer » et « mijoter ». Plats de saison et plats de fête se succèdent, alliant douceur et amertume. AUDIBERTI Marie-Louise, Une enfance boulimique, p. 57 Parfois l’enfant ne ressent du monde, des autres et de lui-même que l’absence. Indifférent à ce qu’il mange, poussé par la double pulsion de s’enraciner et de se détruire, il n’a alors qu’une obsession : absorber, se remplir. NAOURI Adda, Le pouvoir de l’adulte, le pouvoir de l’enfant, p. 64 Pour la mère et pour l’enfant, la naissance est « l’expérience toute première de la toute première perte ». Pour tenter de combler la béance, l’enfant soumet la mère à ses exigences, tandis que celle-ci, en retour, exerce une redoutable prise de pouvoir sur le corps de son enfant. Pour l’un comme pour l’autre, ces comportements expriment le rêve vain d’une impossible fusion. POUY Jean-Bernard, La crêpe primale, p. 79 Il en a supporté des cauchemars de nourriture pendant son enfance, Gilles ! La viande grasse et fibreuse, la mayonnaise fade, la mâche sablonneuse, que de moments qui l’ont dégoûté du mot « avaler » ! Aujourd’hui, pion de demi-pension, il revit à travers la meute affamée des lycéens une chandeleur cinglante. THIS Bernard, Freud n’aimait pas les épinards, p. 89 L’amour parental n’est jamais gratuit. La culpabilité, le chantage, le viol contraignent l’enfant à l’obéissance alimentaire et peuvent le conduire à une soumission qui marquerait toute sa vie d’adulte s’il ne se révoltait. 2. L’IMAGINAIRE DES ALIMENTS, p. 107 Des mots et des mets. Il y a une analogie entre cuisine et langage. Tous deux ont le pouvoir de transformer. La cuisine transforme les aliments en plat, le langage fait aboutir en phrases d’ensemble des mots, adjectifs et verbes. Ce pouvoir les dote d’une connotation qui les rend ‘ la fois attirants et menaçants. DESARTHE Agnès, La bouche, p. 108 On veut dire « je t’aime » et on dit « je vais te manger ». Alors la bouche, ça fait un peu peur, surtout aux enfants. Et puis quand on aperçoit la nourriture écrasée à l’intérieur, c’est un peu dégoûtant. Les baisers c’est pareil, ce n’est pas toujours tentant. La vie, c’est pas du cinéma. Dans les films tout est toujours bien propre, bouche et baiser nickel. Dans la réalité, ce n’est pas la même chose. La bouche dit tout de nous, le bon et le terrible. Tout s’y mélange. C’est un endroit de feu. HADDAD Gérard, Manger c’est apprendre, p. 115 Les rites alimentaires auxquels doit se soumettre le nouveau-né font partie de son processus d’intégration au monde. Celui-ci comporte un ordre du langage et du savoir. L’enfant avale ce savoir en même temps que le lait. Problèmes alimentaires, troubles de la personnalité, dyslexie peuvent avoir leur origine dans une mauvaise acquisition du symbolique liée aux premiers temps de l’alimentation. BLOCH Muriel, « Autour du conte comme nourriture », p. 122 Le conte est une table superbement dressée : vous y trouverez le conteur doté d’une bonne mémoire, le héros qu’une pomme endort, une sorcière cherchant à séduire les petits enfants, un ogre affamé de chair tendre, un coq de vérité, des histoires pleines de sel et toutes sortes de chose à boire, à entendre et à manger… Dans les contes comme dans la vie, parole et nourriture sont intimement liées. Bon appétit ! CLÉMENT Marie-Christine, La cuisine-sorcellerie, p. 137 La femme est elle-même cuisine, chaudron dans lequel elle « cuit » et façonne son enfant. L’homme le plus proche de cette faculté créatrice est le cuisinier, car il est en osmose avec les éléments. Semblable au sorcier, il détient un pouvoir de vie ou de mort sur ceux qui mangent ses préparations. Mais la relation fondamentale qu’il doit entretenir avec la morale fait de lui un symbole de civilisation. CHÂTELET Noëlle, « On dirait que ce serait » , p. 145 Grâce à la magie du conditionnel : « on dirait que ce serait », l’enfant, libre de rêver, invente une nourriture fictive plus vraie que nature, qui, tout en comblant sa faim symbolique, lui permet à travers le jeu de l’imaginaire de « décliner les degrés possibles du dégoût ou de la passion ». Rêves et jeux de l’imaginaire enfantin. CHÉDID Andrée, Horreur et délices, p. 153 La nourriture d’enfance est un tissu d’évocations. D’un morceau de viande rouge peut jaillir, sanglante, la vue de corps décapités, l’odeur nauséabonde de la mort, le tournoiement des mouches… Un mets somptueusement présenté fait la couleur d’une aigrette, l’éclat d’une de l’Orient et de l’Occident mêlés… 122 Des années plus tard, une femme se souvient. 3. DEVENIR GRAND, p. 159 «Manger c’est affirmer notre appartenance au monde. La nourriture relie d’enfant à un autre, à un groupe, d’où l’idée de contiguïté et de continuité. D’intime - affectivement liée à la mère - la nourriture devient fonction sociale. » CHIPA Matty, Le goût un apprentissage, p. 160 La saveur d’un mets résulte de modalités sensorielles et de la signification que prennent ces perceptions. Le passage de la sensation à la perception est fondamental. Grâce à l’apprentissage des normes s’établissent qui font le pont entre ce que nous sommes biologiquement sur le plan biologique et ce que nous devenons du point de vue culturel et social. CAHEN Gérald, Un petit appétit, p. 168 Dans l’inconscient de l’enfant certains aliments font peur, ils sentent l’interdit. « Ce jour-là, lorsque Lola, la jolie Lola, se pressa contre moi, j’eus un flash, une vision terrible : j’aperçus, le temps d’un éclair, le clafoutis de ma mère !...» TAVERNIER Calo, L’expiation, p. 178 Lorsque la nourriture devient le lieu du crime, alors elle nous dévore. On peut même en mourir. « La petite fille se rassit au pied de l’arbre, plongea sa main dans la fourmilière et, avant de fourrer les insectes dans sa bouche, dit encore : je me nourris de bêtes vivantes pour expier et gagner le royaume des cieux. » LOUIS René, La mémoire du goût : « Enfant, que me veux-tu ? », p. 192 On ne vit pas dans le passé. On devient étranger. Cette étrangeté nous pousse à savoir ce qu’il en est de notre goût et de celui des autres. Il nous arrive cependant de mettre les pas dans ceux de notre enfance. Mémoire du passé mais mémoire dépassée. Les véritables souvenirs sont ceux que l’on invente. CHIVA Matty, Il était une « foie », p. 202 Ce sont des histoires vraies. À chacun d’y ajouter la sienne… BIOGRAPHIE DES AUTEURS, p. 205 TABLE DES MATIÈRES, p. 207

Numéro de : "Autrement. Série mutations", ISSN 0751-0144, N° 129 - Avril 1992 Autre(s) tirage(s): 1992, 1994, 1995.