Trésors du Mucem

Décembre 2017

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Chaque mois, un membre de l’équipe de la conservation du Mucem est désigné pour sélectionner et travailler autour d'objets issus des collections présentés tous les dimanches à nos internautes sur la page Facebook du Mucem.

En décembre, Caroline Chenu, chargée de recherches et de collections nous propose sa sélection.


Dimanche 31 décembre 2017


Poids d'horloge, collection Mucem

Poids d'horloge, collection Mucem

Poids d’horloge
Soufflenheim, Bas-Rhin
H. 17,5 cm ; diamètre 8,9 cm ; poids 595,2 grammes
2e moitié du 19e siècle
1955.27.39
Ceci n’est pas une boule de Noël.
Il s’agit d’un poids d’horloge façonné par un potier de Soufflenheim dans le Bas-Rhin. La forme ovoïde, ouverte d’un côté, se terminant en pointe de l’autre, a été obtenue au tour. Le décor géométrique coloré, glaçuré, posé à la main sur la pâte émaillée, est caractéristique de cette poterie alsacienne. Maintenu au balancier pendulaire par une bélière métallique, le poids désigne ici le contenant, en terre, et le contenu : il renferme à l’intérieur un poids, ici en plomb, et généralement en fonte de forme allongée comme un radis noir, ce qui a valu de donner le nom de poids d’horloge à une variété du légume. La porte de la partie basse de l’horloge en bois devait être vitrée pour voir à travers le poids ouvragé.
Depuis la nuit des temps, les femmes et les hommes mesurent le temps, l’alternance du jour et de la nuit, les cycles lunaires et les saisons. La déréliction du vivant rend linéaire notre représentation du temps.
L’apparition de l’horloge à la fin du Moyen Âge pourrait être liée au besoin des marchands de compter, organiser, rentabiliser leurs activités. L’horloge (du grec hora, l’heure et logo, dire, parler) « dit l’heure ». Plus précise et pratique que le cadran solaire ou le sablier, elle permet à la fois de montrer le moment précis et de mesurer les intervalles. C’est au 18e siècle, à l’époque des Lumières et des débuts de l’industrialisation, que l’intérêt pour le temps exact se diffuse et que les instruments qui permettent de le mesurer se développent, avec des mécanismes savants.
À l’extérieur, sur les édifices de l’espace public, les horloges scandent la journée et signalent l’heure qu’il est. À l’intérieur, dans l’espace privé, les horloges ou les pendules aujourd’hui tendent paradoxalement à disparaître alors que les hommes courent après le temps : l’heure est affichée maintenant sur tous les écrans, des téléphones, des ordinateurs, mais aussi des fours et autres appareils électro-ménagers. C’est qu’il fallait régler et remonter les horloges, les mécanismes demandant une maintenance. Quant à la montre, objet d’art, de luxe, de joaillerie, autant qu’attribut de virilité sociale de « l’homme qui a réussi », elle reste le cadeau pérenne le plus répandu (et chargé de sens) quels que soient le sexe et l’âge.
Si les cloches et les carillons tintinnabulent encore dehors, qui chez soi entendra le 31 décembre à minuit, les douze coups de l’horloge ? Sur toute la Terre, le dernier qui retentira marquera le départ de feux d’artifice, pétards, cris de liesse, plops de bouchons de champagne qui sautent, embrassades et sonneries signalant la saturation des sms de vœux de Nouvel An, rappelant tautologiquement le poids des ans.

 


 

Dimanche 24 décembre 2017


Disque 33 tours - Süsser die glochen nie klingen, Mucem

Disque 33 tours - Süsser die glochen nie klingen, Mucem

Disque vinyle 33 tours
Papier, carton imprimé
31.2 x 31.3 x 30 cm
MUS2011.3.130.1-2
Le recto de la pochette présente une photographie couleur représentant la façade d'un maison décorée pour Noël avec des guirlandes et des bougies. Le verso présente sur un fond blanc la liste des titres de l'album au dessus d'une photographie couleur de deux enfants derrière un sapin de Noël. La pochette s'ouvre dans le sens latéral. A l'intérieur sont visibles les paroles et leur traduction des chansons, une photographie noir et blanc d'un groupe d'enfants sur la place d'un village à Noël ainsi qu'une reproduction noir et blanc d'un tableau de Brueghel représentant un village sous la neige à côté d'un plan d'eau gelé. L'étiquette au centre du disque présente un fond gris sur lequel sont inscrits les titres et le logo de l'éditeur.

Dimanche 17 décembre 2017


Marteau et enclumette, Mucem

Marteau et enclumette, Mucem

Marteau et enclumette
Début du 20e siècle
Fer forgé, bois de pin taillé
Longueur 22,6 ; largeur 12,2 ; épaisseur 3,2 ; poids 813,2 grammes
1966.66.165.2
Le séminaire pluridisciplinaire « La geste technique » : parler objets… par les milieux qui se tiendra au Mucem jeudi 21 décembre 2017, a pour ambition de faire dialoguer muséologues et spécialistes des cultures matérielles autour de « la geste technique », afin d’interroger les principes mêmes de la technologie culturelle, ses rapports avec la matière, les objets, les processus et les connaissances.
De menuisier, de charpentier, de carreleur, de briqueteur, de maçon, d’électricien, de vitrier, de coffreur, de couvreur, de cordonnier, de carrossier, de carrier, tailleur de pierre et sculpteur, à plaquer, à riveter, à frapper la monnaie, à estamper les savons, à attendrir la viande en cuisine, le marteau se trouve sous de multiples formes et représentations dans les collections du Mucem, selon son usage, domestique ou par un corps de métier, et en fonction des techniques recherchées.
Celui-ci, entré dans les collections du Mucem en 1966, a été fabriqué dans la commune de La Trinitat dans le Cantal, et utilisé à Prades-d’Aubrac dans l’Aveyron. Associé à l’enclumette, il servait à marteler le métal. Depuis l’époque néolithique, les hommes qui font utilisent des outils manuels de percussion. Afin de développer leur puissance et leur maniabilité, ces outils, d’abord en pierre sont percés et munis de manches. Puis la métallurgie au 4e millénaire permet de fabriquer de nouvelles formes d’outils emmanchés, bien que le marteau en pierre continue d’être utilisé notamment en Mésopotamie et en Égypte.
Encore présent aujourd’hui dans tous les ateliers, sur les établis et dans les boîtes à outils des professionnels et des particuliers, le marteau est composé d’un manche en bois et d’une tête pour cogner, généralement en métal. Il est utilisé soit en frappe directe (ex. boucharde, têtu), soit sur un autre outil, de coupe ou de formage (ciseau, burin, poinçon), soit sur un accessoire à enfoncer (clou, cheville, piton). Il peut être perforateur, marteau-piqueur. Associé à l’enclume pour travailler le métal chez le ferronnier ou le maréchal-ferrant, il est toujours sonore et c’est là la qualité visée du marteau en bois du juge ou du commissaire-priseur.
Le marteau peut aussi être une partie d’un tout, comme la partie mobile du heurtoir sur la porte, les marteaux musicaux frappant les cordes du piano, ou la moins mélodieuse crécelle à marteau.
On dit d’une personne « dérangée » qu’elle est un peu ou complètement marteau, toutefois on  recommande de ne pas se mettre martel en tête.

 


Dimanche 10 décembre 2017


Médaille à l’image de Claude François, France, années 1970, Mucem

Médaille à l’image de Claude François, France, années 1970, Mucem

Médaille à l’image de Claude François
France, années 1970
Métal émaillé
Diamètre 3,8 cm ; 22g
1979.60.11
Cette médaille à l’image de Claude François fait écho à la création « Iskanderia Leh ? » de la compagnie Ex Nihilo qui sera au Mucem les 15 et 16 décembre 2017. Depuis sept ans, Ex Nihilo se rend chaque année à Alexandrie. De leurs corps dansants, les membres de la compagnie écrivent des histoires inhabituelles dans la ville, qui viennent interroger ses mutations et parfois souligner ses contradictions.

L’Égypte fut une terre fertile pour la chanson française des années 1960 et 1970. Richard Anthony (1938-2015) et Guy Béart (1930-2015) sont natifs du Caire, les Grecs Georges Moustaki (1934-2013) et Demis Roussos (1946-2015) d’Alexandrie, ville fondée et dessinée à l’époque hellénistique, et restée riche, commerciale et cosmopolite jusqu’à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser en 1956. Tous ces chanteurs ont partagé leur amour pour la Méditerranée en français, en grec, en italien, en arabe, en espagnol et en hébreu.
C’est en Égypte que sont venues au monde deux icônes vénérées, Dalida (1933-1987) et Claude François (1939-1978). Ce dernier, rappelant le pays de sa jeunesse, interprète Alexandrie Alexandra, « Alexandrie où tout commence et tout finit », composée par lui-même et Jean-Pierre Boutayre, sur des paroles d’Étienne Roda-Gil en 1977. Le disque sort le jour des obsèques du chanteur, et le titre Alexandrie Alexandra devient aussitôt un tube disco, qui reste encore 40 ans après l’hymne des boîtes de nuit et des karaokés. La chorégraphie orfévrée, spectaculaire, contribue à ce succès. Les paroles n’oublient pas « la lumière du phare d’Alexandrie », qui est considéré par les auteurs de l’Antiquité tardive comme l’une des sept merveilles du monde.

Dès le décès accidentel de Claude François en 1978, la Société d’ethnologie française, en phase avec l’époque, souhaite saisir ce phénomène d’idolâtrie renforcée par le traumatisme de la disparition subite de la star, et réalise une collecte d’objets témoins de l’adoration vouée au chanteur par ses « fans ».
Cette médaille en émail se portait en pendentif autour du cou, comme un signe religieux, ou pour manifester l’attachement fort à un être cher. Le portrait du chanteur au regard perçant est nimbé de bandes rayonnantes rouges, orange et vertes.

Dimanche 3 décembre 2017


Carte-réclame, chauffeuse d’autotaxi, Mucem

Carte-réclame, chauffeuse d’autotaxi, Mucem

Chauffeuse d’autotaxi
Carte-réclame
Début du 20e siècle
Chromolithographie sur papier
H. 6,1 ; L. 10,1 cm
1996.40.780.19
Cette image fait écho au film « Where to, Miss? » de Manuela Bastian projeté dimanche 10 décembre 2017 au Mucem dans le cadre du Festival international Jean Rouch. Ce film traite de la difficulté pour une femme de devenir chauffeuse de taxi en Inde à New Delhi.
Cette image était glissée en cadeau dans un paquet de chicorée de Lille. Le Mucem conserve un fonds de plus de 40 000 chromolithographies de petit format qui accompagnaient les produits de consommation afin de fidéliser la clientèle, dans la seconde moitié du 19e siècle et jusqu’à la guerre de 1914.
Ce sont des « cartes-réclames » ; elles illustrent des séries de métiers, scènes bibliques, historiques ou de genre et sont alors destinées aux enfants aussi bien qu’aux adultes, tandis qu’aujourd’hui c’est aux petits que s’adressent les images magnétiques ou autocollantes glissées dans les paquets de goûters, et découvertes avec surprise et le souci de compléter la collection.
Au-dessus de la légende Chauffeuse d’autotaxi, l’image illustre la profession mise en situation. Le véhicule roule sur la route aménagée en bordure d’un plan d’eau, dans la cabine une femme tient le volant, et à l’arrière un passager est assis sur le siège décapotable. Le portrait féminin revient en médaillon, pour zoomer sur la spécificité de la conductrice aux cheveux ramenés en chignon sous la casquette.
À l’heure des débats sur l’écriture inclusive et la féminisation des substantifs génériques, notamment des métiers qui sont des marqueurs sociaux, notons que la chauffeuse est l’homonyme d’un fauteuil douillet, convertible en lit d’appoint.
Le taxi est un lieu clos, contenu, mouvant, où se succèdent sans se croiser des voyageurs de différents horizons, conduits d’un endroit à un autre. Le chauffeur, parfois à corps défendant, devient le réceptacle de confidences qui durent le temps d’une course. Quel meilleur terrain d’observation sociologique pour les documentaristes et les cinéastes ? Le taxi est un leitmotiv cinématographique, de Monsieur Taxi (d’André Hunebelle en 1952, avec Michel Simon) à Taxi Driver (de Martin Scorsese, palme d’or au festival de Cannes en 1976, avec Robert de Niro), et le fabuleux Taxi on Earth (de Jim Jarmusch en 1991), jusqu’au film sud-coréen actuellement sur les écrans A taxi driver (de Hun Jang en 2017). La métropole dans laquelle se déplace le taxi joue souvent un rôle prépondérant dans les films, par exemple Taxi Téhéran (de Jafar Panahi, Ours d’or à la Berlinale en 2015), Taxi Sofia (de Stephan Komandarev en 2017), et la saga des Taxi (produits par Luc Besson à partir de 1998). Dans ces films et les autres qui mettent en scène des taxis, le chauffeur est au masculin. Or, dans le documentaire projeté au festival Jean Rouch, la réalisatrice Manuela Bastian a filmé une héroïne en lutte constante pour réaliser son rêve de devenir chauffeuse de taxi, qui se heurte aux traditions familiales et à celles de la société indienne. Le titre « Where to, Miss ? » que l’on peut traduire « Et vous, où allez-vous Mademoiselle ? », renvoie à la réponse sexiste et goguenarde des clients à qui elle demande leur destination. Or, sa fonction l’oblige à poser cette question inévitable dès la prise de contact, et la nature de la réponse, invariablement, est empreinte de violence verbale.
En Europe, moins de 5% des taxis sont des femmes, et dans cette minorité s’inscrivent des sociétés spécialisées exclusivement féminines, recherchées pour leur environnement sécurisé qui fait mentir l’expression populaire sur les femmes au volant, et renvoie par ailleurs aux clichés de douceur et d’amabilité associés aux femmes. En Afrique et en Asie, on compte moins d’une chauffeuse pour mille taxis. En 2007, le gouvernement sénégalais a encouragé les femmes à devenir auto-entrepreneuses : dix sont devenues taxis grâce à ce programme et c’est ce phénomène que montre le documentaire suédois Taxi Sister (de Theresa Traore Dahlberg en 2011). En dépit des préjugés de la société sur les femmes, ces dernières résistent, combattent et font bouger le regard que la société porte sur elles.
Signalons que l’Arabie Saoudite a autorisé les femmes à conduire en 2017. Combien deviendront chauffeuses de taxi ?