En raison de vents violents la passerelle Saint-Laurent est fermée.
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L’île, un révélateur de l’état politique du monde ?

Le temps de l’île

Les îles sont aujourd’hui au centre de débats publics et d’enjeux considérables qui concernent aussi bien les effets des transformations climatiques et les phénomènes de migration de masse, que les tentatives stratégiques mises en œuvre par certains pays pour reconfigurer les espaces de leur influence et de leur domination politique. On aimerait, à l’occasion de cette séance, faire le point des enjeux géopolitiques liés aux espaces îliens, à différentes échelles et dans différentes parties de la planète.

Vulnérabilité et migrations liées aux changements climatiques
François Gemenne (Sciences Po - CERI)

De par leur espace géographique lointain et leur insularité, les îles sont souvent synonymes d’espaces intacts, non pervertis par la civilisation, isolées du temps et de l’espace. Dans les sciences sociales, les îles exotiques revêtent les caractéristiques de laboratoires de recherche en anthropologie, abritant des populations primitives dont l’organisation sociale pouvait servir de modèle simplifié pour l’étude de sociétés plus complexes. Ancrées dans un imaginaire collectif alimenté par des fantasmes d’aventures et de voyages, les territoires insulaires du Pacifique sont progressivement devenus l’objet d’inquiétudes dans le théâtre des négociations climatiques.

Avant que les impacts du changement climatique ne reçoivent une attention médiatique considérable à partir du milieu des années 2000, ces petits Etats insulaires n’étaient guère l’objet d’une grande attention. Dans les années 90, plusieurs rapports scientifiques pointent la vulnérabilité de ces territoires, particulièrement exposés aux impacts du changement climatique et à la hausse du niveau des mers, la sécheresse et la raréfaction de l’eau douce. Les États atolliens du Pacifique par exemple, qui se caractérisent par l’étroitesse de leurs îles coralliennes (20m à 1000m de large) et leur faible altitude (2 à 3 mètre), sont les premiers territoires du globe susceptibles de disparaître sous la hausse du niveau de la mer.

Ces prévisions inquiétantes alimentent un nouvel imaginaire d’Etats-Atlantide en devenir et les îles du Pacifique deviennent le symbole évident, parfois trivial, de la catastrophe environnementale globale que représente le changement climatique. Progressivement, les caméras se tournent vers ces îles aux noms encore inconnus ; Kiribati, Tuvalu, qui existent désormais aux yeux du monde pour leur géographie particulière et leurs habitants, que l’on appelle les premiers “réfugiés climatiques”. La submersion des îles et la fuite de ses habitants effraient et alertent la communauté internationale sur ce qu’il pourrait advenir dans un futur proche. La menace de voir disparaître ces atolls Pacifique se reflète dans la crainte autocentrée de perdre nos propres territoires. La submersion de ces îles serait-elle un mal nécessaire pour faire réagir nos Etats et mieux protéger les villes côtières de New-York, Venise, Ho Chi Minh ou Amsterdam ?

Cette médiatisation offre une fenêtre de tir idéale pour les chefs d’Etat des îles du Pacifique lors des conférences sur le climat, afin d’alerter l’opinion et les responsables politiques quant aux dangers des impacts du changement climatique. Toutefois, considérer les îles uniquement en tant que laboratoires et victime du changement climatique, tend à mettre de côté leur histoire, leur patrimoine et la culture des populations locales. L’avenir des habitants des îles Kiribati et Tuvalu est souvent envisagé sous un angle juridique binaire ; la migration ou de la reconnaissance d’un statut de “déplacé environnemental” en droit international. Ce discours restrictif de la communauté internationale laisse peu de place aux stratégies d’adaptation que pourraient mettre en place les habitants et dessert davantage la cause des populations insulaires dans la sauvegarde de leurs territoires.

Les îles et les frontières maritimes : Une géopolitique pour le XXIe siècle
Fabrice Argounès (UMR Géographie-cités)

La troisième Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay en 1982, correspond à une véritable révolution pour les frontières maritimes et pour l’appropriation des espaces par les Etats souverains. En inscrivant la reconnaissance de la « Mer territoriale », de la « Zone Economique Exclusive » et en dessinant les contours du « Plateau continental », celle-ci a entrainé une véritable « meritorialisation » et une forme de « patrimonialisation » des espaces maritimes. De plus, de nombreuses autres conventions et résolutions internationales ont aménagé les océans, au nom notamment de la protection de l’environnement marin et de la sécurité maritime. Cette territorialisation de vastes espaces océaniques constitue sans doute l’une des plus grandes modifications géopolitiques de notre temps.

Les îles apparaissent au cœur de cette révolution, et deviennent pour certains Etats, les postes avancés des revendications et des ambitions maritimes, jusqu’à la redéfinition du statut de celles-ci, jusqu’aux îlots et aux rochers, dans les identités nationales, le rapport à la surinsularité et le désir de maritimité. Les îles participent aux évolutions des pratiques, des « droits souverains », des gestions multilatérales, conférés aux Etats en vue de l’accomplissement de certaines fonctions : exploitation raisonnée, préservation ou protection du milieu marin, et elles apparaissent comme un véritable laboratoire des nouvelles formes d’appropriation de ces espaces maritimes.

Usage politique de l’îléité au Japon
Philippe Pelletier (Université Lyon 2, UMR 5600 Environnement, Ville, Société)

Les habitants de l'archipel japonais ont pleinement conscience d'habiter sur des îles et d'être des insulaires. Mais, en mettant de côté la question de la montagne qui fait parfois apparaître l'île comme bien lointaine, cette réalité géographique est également une construction métagéographique.

Elle permet d'expliquer ou de légitimer un sentiment identitaire, sur le registre de la différence, et une géopolitique aussi bien expansionniste qu'isolationniste. Or l'île n'est pas synonyme d'archipel, et shima (île en japonais actuel) désignait autrefois autre chose.

Une étude géohistorique montre la variabilité des limites de l'archipel japonais, et des frontières qui peuvent lui correspondre. L'île japonaise est souvent considérée comme petite, tandis que les mers où baigne l'archipel japonais sont vastes. Le couplage de l'insularité et de la petitesse a été tantôt vu comme un atout, tantôt comme un handicap au cours de l'histoire, par les Japonais et par les Occidentaux. L'île est une icône de la métagéographie du Japon : est-ce un mythe ?

Comment s’affirmer politiquement et territorialement sur de petites îles pré-continentales ? Le cas des îles du Ponant
Louis Brigand (Université de Bretagne occidentale, UMR LETG)

Les îles du Ponant regroupent l’ensemble des îles localisées sur les côtes métropolitaines de la Manche et de l’Atlantique. On peut distinguer deux types d’îles en fonction de leur statut de propriété et administratif. Treize de ces îles ont des statuts de communes. Elles sont habitées par des populations variant d’une centaine d’habitants (Hoedic ou Sein) à plus de 5 000 (Belle-Ile-en-Mer et Yeu). Leur superficie varie d’un demi-km² (Sein) à 85 km² (Belle-Ile-en-Mer). La population totale de ces îles est d’environ 16 000 habitants. La seconde catégorie concerne les îles privées en monopropriété. Ces dernières sont au nombre d’une centaine et généralement habitées de manière permanente. Nous nous intéresserons spécifiquement aux premières, même si les secondes présentent certaines particularités.

On pourrait penser que ces petites îles, proches du continent et dans l’ensemble de faibles superficies, s’alignent sur des règles continentales et que le fait politique y soit de même nature que sur le continent. Il n’en rien. Sans évoquer le cas des deux îles de Sein et de Molène qui ne sont pas assujettis aux impôts locaux et fonciers, il est remarquable de constater que ces îles ont su trouver des solutions leur permettant d’affirmer et d’afficher leurs différences, ce qui a conduit à la réalisation d’outils originaux.

L’objet de cette communication sera donc de présenter les enjeux de ces îles à travers le prisme de la géopolitique en montrant comment leurs représentants ont su tirer parti, de façon parfois étonnante, de la marginalité géographique liée à l’insularité en transcendant certaines règles, voire en favorisant la création de nouvelles.  Ainsi, la réalisation d’actions communes relève souvent d’une certaine vision de l’aménagement du territoire à travers l’affirmation et la reconnaissance par les collectivités continentales et de l’État de différences qui deviennent à la fois structurantes et moteur de certaines innovations.

Il s’agira notamment d’évoquer quelques faits qui nous semblent représentatifs d’un engagement politique particulier à travers les concepts d’insularité mais aussi d’insularisme et d’iléite :
- le poids des îles à travers leurs élus qui pour certains ont, ou ont eu, une surface politique sans commune mesure avec les populations qu’ils représentent ;
- la relation au continent notamment à travers le regroupement de l’ensemble des élus de ces îles dans une structure associative : l’Association des îles du Ponant. Celle-ci a permis d’obtenir une représentation politique spécifique et une autonomie financière notamment dans le cadre des financements régionaux (plan état/région). Aujourd’hui, elle favorise l’éclosion de projets qui concerne l’ensemble des îles sur des actions communes ;
- le choix pour certaines de s'associer ou non des intercommunalités ;
- la création d’un collège qui regroupe plusieurs îles et qui met en avant la mobilité des enseignants et l’usage des nouvelles technologies numériques ;
- l’intégration à l’Europe via une association des petites îles prélittorales du continent européen ;
- la mise en œuvre d’actions spécifiques comme la création d’une marque « produit dans les îles » ou d’un festival des insulaires qui chaque année permet à l’ensemble des acteurs des îles de se retrouver sur l’une d’entre elles ;
- la difficulté d’appliquer la loi Littoral en raison de leurs spécificités géographiques.

 

Tarifs

Entrée libre dans la limite des places disponibles

Lieu Mucem, fort Saint-Jean— MucemLab
Horaires

Vendredi 30 juin 2017
14h00 - 18h00

Voir aussi