Voyages imaginaires : Picasso et les ballets russes

Entre Italie et Espagne

Pablo Picasso, Femme nue au bonnet turc, 1er décembre 1955. Donation Louise et Michel Leiris, 1984—Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle—en dépôt au musée national Picasso-Paris. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand
Pablo Picasso, Femme nue au bonnet turc, 1er décembre 1955. Donation Louise et Michel Leiris, 1984—Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle—en dépôt au musée national Picasso-Paris. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand
Pablo Picasso, Femme nue au bonnet turc, 1er décembre 1955. Donation Louise et Michel Leiris, 1984—Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle—en dépôt au musée national Picasso-Paris. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand
Pablo Picasso maquette décor ballet Tricorne 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris Herve Lewandowski
Pablo Picasso maquette décor ballet Tricorne 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris Herve Lewandowski
Maquette attribuée à Pablo Picasso décor Parade © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Mathieu Rabeau
Maquette attribuée à Pablo Picasso décor Parade © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Mathieu Rabeau
Pablo Picasso, projet de décor pour le ballet Cuadro Flamenco, 1920 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris)
Pablo Picasso, projet de décor pour le ballet Cuadro Flamenco, 1920 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris)
Pablo Picasso, compotier et guitare 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Beatrice Hattala
Pablo Picasso, compotier et guitare 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Beatrice Hattala
Pablo Picasso, projets de costumes pour le ballet Tricorne, 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais Musée Picasso Paris
Pablo Picasso, projets de costumes pour le ballet Tricorne, 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais Musée Picasso Paris

Du Mucem au Centre de la Vieille Charité, « Picasso, voyages imaginaires » est l’exposition événement des musées de Marseille en 2018.

Au Mucem, est présentée l’exposition « Picasso et les Ballets russes, entre Italie et Espagne ».
Les liens privilégiés qu’entretient Picasso avec les arts et traditions populaires apparaissent de façon spectaculaire dans son travail de scénographe et de costumier pour la compagnie de Serge Diaghilev, les Ballets russes.

Entre 1916 et 1921, Picasso collabore à quatre spectacles pour lesquels il réalise décors et costumes : les ballets Parade (1917), Tricorne (1919), Pulcinella (1920), et Cuadro Flamenco (1921). Cette expérience expose le peintre au langage du corps et de la danse, lui inspirant de nouvelles possibilités formelles, qu’il mêle à des éléments empruntés au théâtre de marionnettes, à la commedia dell’arte, à l’art sacré ou encore au folklore espagnol.

Confrontant œuvres de l’artiste (toiles, dessins, esquisses, maquettes, costumes) et objets issus des collections du Mucem, l’exposition montre comment Picasso a su assimiler et réinterpréter les traditions figuratives de son temps, pour les placer au centre d’une nouvelle modernité.

Commissariat général : Sylvain Bellenger, Directeur Général du musée de Capodimonte, Luigi Gallo, historien de l’art, Carmine Romano, historien de l’art
Scénographie : Dodeskaden

Au Centre de la Vieille Charité, l’exposition rassemble plus de cent chefs-d’œuvre – peintures, sculptures, assemblages, dessins – en dialogue avec la collection de cartes postales de l’artiste et des œuvres maîtresses des musées de Marseille. Elle rend compte de l’étendue de la curiosité de Picasso, aiguisée d’une volonté sans borne à entrevoir d’autres cultures que la sienne
Point de départ de ce voyage imaginaire, c’est à Marseille en 1912 que Picasso achète des masques africains qui auront une influence primordiale sur son œuvre.
Entre souvenirs de voyages et itinéraires fictifs l’exposition emprunte alors cinq destinations : Bohème Bleue, Afrique fantôme, Amour antique, Soleil noir et Orient rêvé, tant de voyages dans l’antre imaginaire du génie Picasso: « Si on marquait sur une carte tous les itinéraires par ou j’ai passé et si on les reliait par un trait cela figurerait peut-être un minotaure. »

Véritable clou du parcours, l’ensemble sculpté Les Baigneurs est présenté au cœur de l’écrin majestueux de la Chapelle de la Vieille Charité, créant un dialogue inédit entre cette mise en scène théâtrale de Picasso et l’architecture baroque de Pierre Puget.

Commissariat général : Xavier Rey, directeur des musées de Marseille ; Christine Poullain, directrice honoraire des musées de Marseille; Guillaume Theulière, conservateur adjoint au directeur des musées de Marseille
Scénographie : e.deux – Etienne Lefrançois, Emmanuelle Garcia
Surface : 4 salles d’exposition et la chapelle – 700 m2

Éditions

Picasso et les ballets russes

Catalogue d’exposition en coédition Mucem/Actes sud, livre broché, format 24 x 28 cm, 144 pages, 25 €

Découvrir

Picasso voyages imaginaires

Co-édition Ville de Marseille/RMN, livre broché, 24 x 28 cm, 224 pages, 200 illustrations, 39 €

Offre tarifaire

Billet couplé 2 expositions Picasso « Voyages imaginaires » : 15 €—Billet plein tarif

En vente uniquement sur place au Mucem et à la Vieille Charité
Tarifs réduits : consulter l’offre tarifaire de chaque musée

  • Entretien avec Carmine Romano, commissaire de l’exposition.

     

    Mucem

     
    Cette exposition présente un aspect méconnu du travail de Picasso, celui de décorateur et costumier pour les Ballets russes de Diaghilev entre 1916 et 1921. Dans quel contexte est née cette collaboration ?

    Carmine Romano

    Par une série de hasards, quelques-unes des personnalités les plus intéressantes du Paris de ces années-là, notamment Cocteau, Satie, Diaghilev, Massine et Picasso, décidèrent de collaborer à la création d’un nouveau ballet, qui s’annonçait révolutionnaire. C’était l’été 1916, et ce travail autour du ballet Parade, porté sur scène le 18 mai 1917, coïncide avec la naissance d’une amitié, celle unissant Picasso à Cocteau – qui durera toute leur vie –, mais aussi d’une relation professionnelle et amicale entre le peintre espagnol et Diaghilev, qui laissera ce dernier donner libre cours à son « instinct naturel » pour la théâtralité.
    Diaghilev, qui, à Paris, représentait la modernité russe, avait évidemment l’intention de capter l’avant-garde parisienne incarnée par Picasso : il a ainsi réussi l’exploit d’introduire l’élite parisienne au monde de Montmartre, où se jouait alors l’art contemporain.

    Mucem

    Parmi les principales créations de Picasso pour les Ballets russes, il y a le fameux rideau de scène de Parade…

    C.R.

    Le rideau de Parade étant actuellement exposé à Rome, dans l’exposition « Picasso, entre cubisme et classicisme : 1915-1925 », nous présenterons, au Mucem, une copie. Celle-ci va nous permettre, à travers un écran interactif, d’entrer dans son histoire et dans son iconographie. Nous avons en effet pu faire de nouvelles découvertes en lien avec ce rideau, parmi lesquelles l’identification des personnages qui y sont représentés, et les éléments ayant inspiré Picasso pour sa réalisation.
    Dans la biographie de Diaghilev, nous apprenons que dès la première de Parade, lorsque fut dévoilée cette peinture de Picasso, beaucoup de personnes dans le public, croyant à une farce de l’artiste espagnol, ont pensé reconnaître les personnages peints sur ce rideau de scène. En particulier le Maure au turban, qui semblait être un portrait de Stravinsky, ou le marin napolitain qui ressemblait fort à Diaghilev.
    Depuis, plusieurs chercheurs (Rothschild, Axsom…) ont travaillé à l’identification des personnages de ce rideau de scène. Dans l’exposition présentée au Mucem, avec l’aide des nouvelles technologies et à partir d’un fonds de documents et photos d’archives, nous allons procéder à une série de comparaisons entre les personnages peints sur le rideau et les portraits de ceux qui travaillaient sur le ballet Parade dans l’entourage de Picasso. Nous pourrons ainsi faire une proposition d’identification pour chacun des personnages représentés sur ce rideau de scène.

    Mucem

    L’exposition présente aussi les travaux de Picasso pour les ballets Tricorne (1919), Pulcinella (1920), et Cuadro Flamenco (1921)… Autant d’occasions, pour Picasso, d’exprimer ses affinités avec les arts et les cultures populaires ?

    C.R.

    Exactement. Tous les ballets russes auxquels Picasso a collaboré ont en commun la volonté, de la part des artistes comme des musiciens, d’explorer le territoire sacré des arts et des traditions populaires.
    Le terme d’« art populaire », qui naît à ce moment-là et qui sera développé par Georges Henri Rivière, n’était pas très apprécié de Picasso, qui préférait parler tout simplement d’« art » ; au point qu’il dira : « Il n’y a pas d’art populaire, mais seulement de l’art. »
    Dans les ballets Parade et Pulcinella, que nous qualifierons d’italiens pour leurs références très claires à la ville de Naples, comme dans les ballets espagnols Tricorne et Cuadro Flamenco, Picasso explore tous les éléments du théâtre traditionnel, se saisissant des codes populaires qu’il réélabore et replace au centre d’une nouvelle modernité.

    Mucem

    Quels sont les thèmes récurrents qui apparaissent dans ces travaux ?

    C.R.

    Comme vous l’avez souligné dans la question précédente, ces thématiques trouvent leurs racines dans l’art populaire et la danse, dans le théâtre de marionnettes et la commedia dell’arte. La récente découverte de pièces d’artisanat napolitain et de pupi siciliani (marionnettes siciliennes) appartenant à l’artiste nous permet de mettre en lumière un aspect fondamental de la production artistique et théâtrale de cette période, concernant non seulement Picasso, mais aussi Cocteau, Apollinaire et de nombreux intellectuels européens qui jugeaient alors le théâtre contemporain comme sclérosé et stérile. Leur attention se dirigeait plutôt vers des formes moins « bourgeoises » comme le cirque, le bal populaire et, évidemment, le théâtre de marionnettes et la commedia dell’arte. On connaît les lettres qu’a envoyées Picasso à Apollinaire après avoir assisté à des spectacles de marionnettes au Teatro dei Piccoli de Rome, ou la carte postale envoyée par Cocteau à sa mère durant son voyage à Naples, et dans laquelle il évoque la performance des pupi siciliani, jugeant les marionnettes plus crédibles que des acteurs de chair et d’os.

    Ces thématiques sont aisément perceptibles dans la « danse gestuelle », en partie mimée, de Parade, mais aussi dans Pulcinella et Tricorne (qui, dans son idée de départ, étaient des ballets-pantomimes).

    Il est nécessaire d’évoquer d’autre part les thématiques espagnoles, si chères au peintre, qui sont liées à son enfance et surtout à son père : la corrida et le flamenco. Le travail autour de la musique folklorique et de la danse traditionnelle s’avère fondamental dans les ballets espagnols. Il suffit de citer, dans Tricorne, la scène où le corregidor, sorte de magistrat de la cour, est séduit par la femme d’un meunier dansant pour lui un sensuel fandango, une danse folklorique andalouse, ancêtre du flamenco. Enfin, une corrida est peinte sur le rideau de scène de Tricorne, à la manière de ce que le jeune Pablo pouvait voir depuis la terrasse de la maison de son oncle Salvador.

    Mucem

    En quoi les travaux de Picasso pour les Ballets russes témoignent-ils de son évolution en tant qu’artiste ?

    C.R.

    Précisons d’abord que la collaboration de Picasso avec les Ballets russes coïncide avec l’une des périodes les plus importantes de sa vie. D’un point de vue personnel, c’est durant la préparation de Parade que Picasso rencontre la danseuse Olga Khokhlova, dont il tombe amoureux, et qu’il épousera en 1918. C’est aussi l’un des rares moments qu’il passera loin de la France : en 1917, Picasso reste un peu plus de deux mois à Rome, puis quelques mois en Espagne.

    C’est une période très fertile pour l’artiste, que les historiens associent souvent à la fin de sa période cubiste et à une sorte de retour à la normale, vers un nouveau classicisme. Mais la réalité est peut-être un peu plus complexe. J’estime pour ma part que d’un point de vue stylistique, son travail de scénographe pour les Ballets russes, à travers ses réflexions sur l’espace scénique et la perspective à grande échelle, lui a permis d’approfondir ses recherches sur les sculptures d’assemblage, aspect central du cubisme.

    Mucem

    Quelles sont les pièces majeures présentées dans cette exposition ?

    C.R.

    Outre les dessins des décors, rideaux de scène et costumes réalisés par Picasso pour les Balles russes, nous présentons le tableau La Loge, créé pour le ballet Cuadro Flamenco, qui fut découpé et vendu par Diaghilev, avant d’être tout récemment retrouvé et exposé par la Pinacothèque de Brera.

    En témoignage de son grand amour pour la commedia dell’arte et pour l’art populaire, nous présentons quelques pièces ayant appartenu à Picasso, issues de la collection Faba, comme les deux Polichinelle présents dans la photographie Olga assise au piano, prise par l’artiste en 1920, ainsi que sa propre réinterprétation de ce même personnage, dont il a décomposé et recréé le masque.

    Les visiteurs auront par ailleurs la possibilité de voir les spectaculaires costumes cubistes de Parade réalisés par l’Opéra de Rome, et ceux, plus classiques, de Pulcinella et Tricorne. Une série de films d’archives encore jamais montrés ainsi que des photos originales nous permettront de faire un voyage dans le temps, à l’époque de la création de ces ballets, pour une immersion dans le climat artistique de cette période.

    Cette exposition, dont je partage le commissariat avec Sylvain Bellenger et Luigi Gallo, semble être un projet taillé sur mesure pour le Mucem et ses collections. Nous avons puisé, au sein des vastes fonds du musée, quantité d’objets illustrant les différentes inspirations de Picasso en lien avec les arts et traditions populaires : marionnettes, décors de théâtre, affiches, ex-voto… En confrontant ces objets aux œuvres de Picasso, l’exposition met en évidence le génie de cet artiste, capable de capturer les éléments du monde qui l’entoure et, en même temps, de les recomposer avec l’esprit joueur et insouciant d’un enfant.

Du Mucem au Centre de la Vieille Charité, « Picasso, voyages imaginaires » est l’exposition événement des musées de Marseille en 2018.

Au Mucem, est présentée l’exposition « Picasso et les Ballets russes, entre Italie et Espagne ».
Les liens privilégiés qu’entretient Picasso avec les arts et traditions populaires apparaissent de façon spectaculaire dans son travail de scénographe et de costumier pour la compagnie de Serge Diaghilev, les Ballets russes.

Entre 1916 et 1921, Picasso collabore à quatre spectacles pour lesquels il réalise décors et costumes : les ballets Parade (1917), Tricorne (1919), Pulcinella (1920), et Cuadro Flamenco (1921). Cette expérience expose le peintre au langage du corps et de la danse, lui inspirant de nouvelles possibilités formelles, qu’il mêle à des éléments empruntés au théâtre de marionnettes, à la commedia dell’arte, à l’art sacré ou encore au folklore espagnol.

Confrontant œuvres de l’artiste (toiles, dessins, esquisses, maquettes, costumes) et objets issus des collections du Mucem, l’exposition montre comment Picasso a su assimiler et réinterpréter les traditions figuratives de son temps, pour les placer au centre d’une nouvelle modernité.

Commissariat général : Sylvain Bellenger, Directeur Général du musée de Capodimonte, Luigi Gallo, historien de l’art, Carmine Romano, historien de l’art
Scénographie : Dodeskaden

Au Centre de la Vieille Charité, l’exposition rassemble plus de cent chefs-d’œuvre – peintures, sculptures, assemblages, dessins – en dialogue avec la collection de cartes postales de l’artiste et des œuvres maîtresses des musées de Marseille. Elle rend compte de l’étendue de la curiosité de Picasso, aiguisée d’une volonté sans borne à entrevoir d’autres cultures que la sienne
Point de départ de ce voyage imaginaire, c’est à Marseille en 1912 que Picasso achète des masques africains qui auront une influence primordiale sur son œuvre.
Entre souvenirs de voyages et itinéraires fictifs l’exposition emprunte alors cinq destinations : Bohème Bleue, Afrique fantôme, Amour antique, Soleil noir et Orient rêvé, tant de voyages dans l’antre imaginaire du génie Picasso: « Si on marquait sur une carte tous les itinéraires par ou j’ai passé et si on les reliait par un trait cela figurerait peut-être un minotaure. »

Véritable clou du parcours, l’ensemble sculpté Les Baigneurs est présenté au cœur de l’écrin majestueux de la Chapelle de la Vieille Charité, créant un dialogue inédit entre cette mise en scène théâtrale de Picasso et l’architecture baroque de Pierre Puget.

Commissariat général : Xavier Rey, directeur des musées de Marseille ; Christine Poullain, directrice honoraire des musées de Marseille; Guillaume Theulière, conservateur adjoint au directeur des musées de Marseille
Scénographie : e.deux – Etienne Lefrançois, Emmanuelle Garcia
Surface : 4 salles d’exposition et la chapelle – 700 m2

Éditions

Picasso et les ballets russes

Catalogue d’exposition en coédition Mucem/Actes sud, livre broché, format 24 x 28 cm, 144 pages, 25 €

Découvrir

Picasso voyages imaginaires

Co-édition Ville de Marseille/RMN, livre broché, 24 x 28 cm, 224 pages, 200 illustrations, 39 €

Offre tarifaire

Billet couplé 2 expositions Picasso « Voyages imaginaires » : 15 €—Billet plein tarif

En vente uniquement sur place au Mucem et à la Vieille Charité
Tarifs réduits : consulter l’offre tarifaire de chaque musée

Pablo Picasso, Femme nue au bonnet turc, 1er décembre 1955. Donation Louise et Michel Leiris, 1984—Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle—en dépôt au musée national Picasso-Paris. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand
Pablo Picasso, Femme nue au bonnet turc, 1er décembre 1955. Donation Louise et Michel Leiris, 1984—Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle—en dépôt au musée national Picasso-Paris. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand
  • Entretien avec Carmine Romano, commissaire de l’exposition.

     

    Mucem

     
    Cette exposition présente un aspect méconnu du travail de Picasso, celui de décorateur et costumier pour les Ballets russes de Diaghilev entre 1916 et 1921. Dans quel contexte est née cette collaboration ?

    Carmine Romano

    Par une série de hasards, quelques-unes des personnalités les plus intéressantes du Paris de ces années-là, notamment Cocteau, Satie, Diaghilev, Massine et Picasso, décidèrent de collaborer à la création d’un nouveau ballet, qui s’annonçait révolutionnaire. C’était l’été 1916, et ce travail autour du ballet Parade, porté sur scène le 18 mai 1917, coïncide avec la naissance d’une amitié, celle unissant Picasso à Cocteau – qui durera toute leur vie –, mais aussi d’une relation professionnelle et amicale entre le peintre espagnol et Diaghilev, qui laissera ce dernier donner libre cours à son « instinct naturel » pour la théâtralité.
    Diaghilev, qui, à Paris, représentait la modernité russe, avait évidemment l’intention de capter l’avant-garde parisienne incarnée par Picasso : il a ainsi réussi l’exploit d’introduire l’élite parisienne au monde de Montmartre, où se jouait alors l’art contemporain.

    Mucem

    Parmi les principales créations de Picasso pour les Ballets russes, il y a le fameux rideau de scène de Parade…

    C.R.

    Le rideau de Parade étant actuellement exposé à Rome, dans l’exposition « Picasso, entre cubisme et classicisme : 1915-1925 », nous présenterons, au Mucem, une copie. Celle-ci va nous permettre, à travers un écran interactif, d’entrer dans son histoire et dans son iconographie. Nous avons en effet pu faire de nouvelles découvertes en lien avec ce rideau, parmi lesquelles l’identification des personnages qui y sont représentés, et les éléments ayant inspiré Picasso pour sa réalisation.
    Dans la biographie de Diaghilev, nous apprenons que dès la première de Parade, lorsque fut dévoilée cette peinture de Picasso, beaucoup de personnes dans le public, croyant à une farce de l’artiste espagnol, ont pensé reconnaître les personnages peints sur ce rideau de scène. En particulier le Maure au turban, qui semblait être un portrait de Stravinsky, ou le marin napolitain qui ressemblait fort à Diaghilev.
    Depuis, plusieurs chercheurs (Rothschild, Axsom…) ont travaillé à l’identification des personnages de ce rideau de scène. Dans l’exposition présentée au Mucem, avec l’aide des nouvelles technologies et à partir d’un fonds de documents et photos d’archives, nous allons procéder à une série de comparaisons entre les personnages peints sur le rideau et les portraits de ceux qui travaillaient sur le ballet Parade dans l’entourage de Picasso. Nous pourrons ainsi faire une proposition d’identification pour chacun des personnages représentés sur ce rideau de scène.

    Mucem

    L’exposition présente aussi les travaux de Picasso pour les ballets Tricorne (1919), Pulcinella (1920), et Cuadro Flamenco (1921)… Autant d’occasions, pour Picasso, d’exprimer ses affinités avec les arts et les cultures populaires ?

    C.R.

    Exactement. Tous les ballets russes auxquels Picasso a collaboré ont en commun la volonté, de la part des artistes comme des musiciens, d’explorer le territoire sacré des arts et des traditions populaires.
    Le terme d’« art populaire », qui naît à ce moment-là et qui sera développé par Georges Henri Rivière, n’était pas très apprécié de Picasso, qui préférait parler tout simplement d’« art » ; au point qu’il dira : « Il n’y a pas d’art populaire, mais seulement de l’art. »
    Dans les ballets Parade et Pulcinella, que nous qualifierons d’italiens pour leurs références très claires à la ville de Naples, comme dans les ballets espagnols Tricorne et Cuadro Flamenco, Picasso explore tous les éléments du théâtre traditionnel, se saisissant des codes populaires qu’il réélabore et replace au centre d’une nouvelle modernité.

    Mucem

    Quels sont les thèmes récurrents qui apparaissent dans ces travaux ?

    C.R.

    Comme vous l’avez souligné dans la question précédente, ces thématiques trouvent leurs racines dans l’art populaire et la danse, dans le théâtre de marionnettes et la commedia dell’arte. La récente découverte de pièces d’artisanat napolitain et de pupi siciliani (marionnettes siciliennes) appartenant à l’artiste nous permet de mettre en lumière un aspect fondamental de la production artistique et théâtrale de cette période, concernant non seulement Picasso, mais aussi Cocteau, Apollinaire et de nombreux intellectuels européens qui jugeaient alors le théâtre contemporain comme sclérosé et stérile. Leur attention se dirigeait plutôt vers des formes moins « bourgeoises » comme le cirque, le bal populaire et, évidemment, le théâtre de marionnettes et la commedia dell’arte. On connaît les lettres qu’a envoyées Picasso à Apollinaire après avoir assisté à des spectacles de marionnettes au Teatro dei Piccoli de Rome, ou la carte postale envoyée par Cocteau à sa mère durant son voyage à Naples, et dans laquelle il évoque la performance des pupi siciliani, jugeant les marionnettes plus crédibles que des acteurs de chair et d’os.

    Ces thématiques sont aisément perceptibles dans la « danse gestuelle », en partie mimée, de Parade, mais aussi dans Pulcinella et Tricorne (qui, dans son idée de départ, étaient des ballets-pantomimes).

    Il est nécessaire d’évoquer d’autre part les thématiques espagnoles, si chères au peintre, qui sont liées à son enfance et surtout à son père : la corrida et le flamenco. Le travail autour de la musique folklorique et de la danse traditionnelle s’avère fondamental dans les ballets espagnols. Il suffit de citer, dans Tricorne, la scène où le corregidor, sorte de magistrat de la cour, est séduit par la femme d’un meunier dansant pour lui un sensuel fandango, une danse folklorique andalouse, ancêtre du flamenco. Enfin, une corrida est peinte sur le rideau de scène de Tricorne, à la manière de ce que le jeune Pablo pouvait voir depuis la terrasse de la maison de son oncle Salvador.

    Mucem

    En quoi les travaux de Picasso pour les Ballets russes témoignent-ils de son évolution en tant qu’artiste ?

    C.R.

    Précisons d’abord que la collaboration de Picasso avec les Ballets russes coïncide avec l’une des périodes les plus importantes de sa vie. D’un point de vue personnel, c’est durant la préparation de Parade que Picasso rencontre la danseuse Olga Khokhlova, dont il tombe amoureux, et qu’il épousera en 1918. C’est aussi l’un des rares moments qu’il passera loin de la France : en 1917, Picasso reste un peu plus de deux mois à Rome, puis quelques mois en Espagne.

    C’est une période très fertile pour l’artiste, que les historiens associent souvent à la fin de sa période cubiste et à une sorte de retour à la normale, vers un nouveau classicisme. Mais la réalité est peut-être un peu plus complexe. J’estime pour ma part que d’un point de vue stylistique, son travail de scénographe pour les Ballets russes, à travers ses réflexions sur l’espace scénique et la perspective à grande échelle, lui a permis d’approfondir ses recherches sur les sculptures d’assemblage, aspect central du cubisme.

    Mucem

    Quelles sont les pièces majeures présentées dans cette exposition ?

    C.R.

    Outre les dessins des décors, rideaux de scène et costumes réalisés par Picasso pour les Balles russes, nous présentons le tableau La Loge, créé pour le ballet Cuadro Flamenco, qui fut découpé et vendu par Diaghilev, avant d’être tout récemment retrouvé et exposé par la Pinacothèque de Brera.

    En témoignage de son grand amour pour la commedia dell’arte et pour l’art populaire, nous présentons quelques pièces ayant appartenu à Picasso, issues de la collection Faba, comme les deux Polichinelle présents dans la photographie Olga assise au piano, prise par l’artiste en 1920, ainsi que sa propre réinterprétation de ce même personnage, dont il a décomposé et recréé le masque.

    Les visiteurs auront par ailleurs la possibilité de voir les spectaculaires costumes cubistes de Parade réalisés par l’Opéra de Rome, et ceux, plus classiques, de Pulcinella et Tricorne. Une série de films d’archives encore jamais montrés ainsi que des photos originales nous permettront de faire un voyage dans le temps, à l’époque de la création de ces ballets, pour une immersion dans le climat artistique de cette période.

    Cette exposition, dont je partage le commissariat avec Sylvain Bellenger et Luigi Gallo, semble être un projet taillé sur mesure pour le Mucem et ses collections. Nous avons puisé, au sein des vastes fonds du musée, quantité d’objets illustrant les différentes inspirations de Picasso en lien avec les arts et traditions populaires : marionnettes, décors de théâtre, affiches, ex-voto… En confrontant ces objets aux œuvres de Picasso, l’exposition met en évidence le génie de cet artiste, capable de capturer les éléments du monde qui l’entoure et, en même temps, de les recomposer avec l’esprit joueur et insouciant d’un enfant.

Pablo Picasso maquette décor ballet Tricorne 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris Herve Lewandowski
Pablo Picasso maquette décor ballet Tricorne 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris Herve Lewandowski
Maquette attribuée à Pablo Picasso décor Parade © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Mathieu Rabeau
Maquette attribuée à Pablo Picasso décor Parade © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Mathieu Rabeau
Pablo Picasso, projet de décor pour le ballet Cuadro Flamenco, 1920 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris)
Pablo Picasso, projet de décor pour le ballet Cuadro Flamenco, 1920 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris)
Pablo Picasso, compotier et guitare 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Beatrice Hattala
Pablo Picasso, compotier et guitare 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais (Musée national Picasso Paris) Beatrice Hattala
Pablo Picasso, projets de costumes pour le ballet Tricorne, 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais Musée Picasso Paris
Pablo Picasso, projets de costumes pour le ballet Tricorne, 1919 © Succession Picasso 2017 © RMN Grand Palais Musée Picasso Paris