• « ABC de Polichinel », monographie imprimée de Pellerin & Cie à Epinal,  fin du XIXe siècle. Mucem, O1R 634 © Mucem / Marianne Kuhn
    « ABC de Polichinel », monographie imprimée de Pellerin & Cie à Epinal, fin du XIXe siècle. Mucem, O1R 634 © Mucem / Marianne Kuhn

Bibliothèques bleues


Mucem, Centre de Conservation et de Ressources— 1, rue Clovis Hugues, 13003 Marseille
| Du mercredi 17 mars 2021 au jeudi 20 mai 2021

Les premiers livres édités pour les enfants apparaissent en France au XVIIIe siècle. Avant ces éditions, d’autres petits livrets sont déjà largement répandus dans toute la société française : la Bibliothèque bleue.
 
C’est à ces petits livrets bleus – d’après leur couverture très simple en papier coloré – que se consacre cette exposition. Conçue à partir des collections du Mucem, elle nous invite à découvrir les lectures des enfants des siècles passés : romans, contes, légendes, mais aussi manuels d’instruction, abrégés de catéchisme, abécédaires, livrets de civilité, sans oublier les planches d’images, ancêtres de la bande dessinée.
 
Autant de petits trésors qui nous permettent de redécouvrir des histoires autrefois connues de l’ensemble de la population, aujourd’hui oubliées ; tout comme des contes très anciens, encore lus et appréciés de nos jours par les enfants de France, d’Europe et du monde entier.

—Commissariat : Sophie Bernillon, conservatrice en chef des bibliothèques au Mucem et Elisa Marazzi, chercheuse associée, université de Newcastle

Entretien avec Sophie Bernillon et Elisa Marazzi, commissaires de l’exposition

 
Mucem (M.)

En vous intéressant à la Bibliothèque bleue, vous êtes parties en quête des « ancêtres » du livre jeunesse ?

 

Sophie Bernillon (S.B.) et Elisa Marazzi (E.M.)

Nous avons voulu présenter la Bibliothèque bleue, dont le Mucem possède une collection importante, et montrer sa grande diffusion au sein de la société française dans son ensemble. Jusqu’au XVIIIe siècle, il y avait très peu de livres édités spécialement pour les enfants. Comme cette littérature populaire, diffusée essentiellement par colportage dans les villes et les villages, était présente dans toutes les couches de la société, nous pensons que les enfants ont été en contact avec ces petits livrets, avant qu’une littérature soit éditée à leur intention. Ce qui sera le cas au XIXe siècle, avec l’évolution de la société et l’accroissement de la scolarisation et de l’alphabétisation des enfants. Nous présentons cette évolution dans l’exposition.

 

M.

En quoi ces petits livres bleus étaient-ils si importants autrefois ?

 

S.B. et E.M.

Ces petits livrets « bleus » (ou apparentés, tous n’étaient pas forcément de couleur bleue) étaient souvent les seuls écrits présents dans les foyers : il y avait toujours au moins un almanach, une histoire sainte, un livre de recettes, ou un roman de chevalerie dans les maisons ou les cuisines… Leur coût modeste et la diffusion par colportage ont permis une grande diffusion sur l’ensemble du territoire français de ces petits ouvrages.

 

M.

Est-ce que la Bibliothèque bleue est un phénomène typiquement français ?

S.B. et E.M.

Oui et non. Ce que les historiens ont appelé Bibliothèque bleue est l’expression d’une activité éditoriale française. Toutefois, on retrouve des initiatives similaires dans beaucoup de régions européennes. Il est surprenant de constater qu’un ensemble d’histoires circulait dans toute l’Europe occidentale selon les mêmes modalités : les fables d’Ésope, Pierre et Maguelonne, Mélusine, Geneviève de Brabant, Valentin et Orson, par exemple, étaient lus et connus par des personnes qui parlaient des langues différentes, qui vivaient dans des régions différentes et qui pratiquaient des religions différentes. Bien sûr, il y avait aussi des spécificités locales mais la diffusion transnationale de ces histoires nous parle d’une culture partagée à une époque où les personnes et les idées circulaient beaucoup moins vite qu’aujourd’hui. Ce phénomène concernait également les lectures des enfants.

 

M.

Que reste-t-il aujourd’hui de ces pratiques ?

 

S.B. et E.M.

La Bibliothèque bleue a disparu pendant la seconde moitié du XIXe siècle. L’arrivée de la presse à grand tirage et à faible coût a permis de remplacer progressivement les petits livrets bleus… L’information, les lectures politiques, religieuses, romanesques et de loisir avaient trouvé un autre support, devenu très accessible à son tour. La diffusion par colportage est devenue moins répandue avec l’apparition et la généralisation des kiosques de presse, des marchands de journaux et des librairies dans les villes et les campagnes.
Néanmoins, il reste des survivances de cette littérature, et certains titres apparaissent comme des « long-sellers », édités sur plusieurs siècles et encore de nos jours… On trouve par exemple encore aujourd’hui des almanachs, édités chaque année, dans nos régions françaises.

 

M.

Vous avez retenu une centaine de pièces sur un fonds riche de 5 000. Comment s’est effectuée la sélection ?

S.B. et E.M.

Cela n’a pas été simple, le fonds est très riche et nous ne pouvions tout montrer… Quelques expositions ont présenté la Bibliothèque bleue dans d’autres villes en France ces dernières années. Nous avons choisi de proposer un point de vue différent, celui de la rencontre de cette littérature avec les enfants. Nous présentons donc en premier lieu un échantillonnage des différents types d’ouvrages de Bibliothèque bleue édités sur plusieurs siècles, de thématiques et aux formats très variés. Nous présentons ensuite les titres qui devaient être lus, consultés ou entendus (lors de lectures à voix haute) par les enfants dans leur environnement quotidien, puis les livres qui ont été édités à leur intention à partir de la fin du XVIIIe siècle. Nous présentons aussi des planches d’imagerie populaire dont l’impression s’est généralisée un peu plus tardivement que celle de la Bibliothèque bleue, à partir de la fin du XVIIIe siècle, et a connu le même succès, diffusée également par colportage.

 

M.

On retrouve dans ces livres des histoires de nos jours oubliées, et d’autres, encore célèbres dans le monde entier. Quelques exemples ?

S.B. et E.M.

Nous présentons plusieurs livrets et planches d’imagerie populaire de l’histoire de Geneviève de Brabant. C’est un exemple de « long-seller », car pendant plusieurs siècles, jusqu’au milieu du XXe, cette histoire a été très populaire et constamment rééditée. Elle est pourtant complètement oubliée de nos jours… Beaucoup d’autres exemples peuvent être donnés, comme l’histoire de Valentin et Orson, celle des quatre fils Aymon, de Mélusine, de Jean et Marie…
D’autres histoires, en particulier les contes édités par Charles Perrault, ou ceux issus des recueils des Mille et Une Nuits sont encore célèbres grâce, parfois aussi, à leur adaptation en dessin animé par Walt Disney.
Nous présentons plusieurs versions du conte de Barbe-Bleue dans l’exposition. D’autres contes de Perrault, toujours lus aujourd’hui, auraient pu également être présentés, comme Le Petit Poucet, Le Petit Chaperon rouge, Peau d’âne, réédités encore régulièrement au XXIe siècle…